Bérengère Savelieff, au nom de Pax Christi, a participé, pour la troisième fois du 11 au 18 août 2024 dernier, à la semaine ukrainienne organisée, chaque année depuis l’invasion russe, par les frères de la communauté de Taizé. Un signe de solidarité et d’espérance pour les jeunes et les églises éprouvées d’Ukraine. Notre chargée d’éducation à la paix a pu y retrouver les membres actifs de la Maison d’édition Duh i Litera (l’esprit et la lettre), avec qui avait été mené un projet l’an passé pour soutenir leur activité de résistance durant la guerre. Récit :
Sur les traces d’intellectuels engagés
La semaine a été l’occasion de partir sur les traces de nombreux intellectuels et artistes qui, par leurs pensées et leurs œuvres, ont réussi à faire acte de résistance en tant de guerre et rester libres face à une pensée unique, mensongère et déshumanisante.
La pensée de la philosophe Simone Weil, de l’écrivain Albert Camus, les vers de Pablo Neruda, Garcia Lorca et du poète ukrainien Vassyl Stouss, les œuvres de l’artiste ukrainien Pinhas Fishel… tout converge vers une idée principale, celle que l’homme ne peut se résigner face à l’oppression et au dictat de la terreur.
Comme l’explicite Simone Weil dans son ouvrage l’enracinement (1949), la liberté et la recherche de vérité font partie de ce qu’elle appelle les « besoins de l’âme ». Au même titre que les besoins physiologiques du corps, l’âme a des besoins qui doivent être nourris pour lui assurer sa survie. L’âme peut mourir, nous dit-elle gravement. C’est en gardant son esprit critique et sa capacité à penser la complexité des réalités vécues que l’homme peut faire barrage à la pensée unique qui cherche à l’asservir et à le soumettre.
Des témoignages poignants
« Aimer en actes et en vérité », c’est là l’invitation et la promesse de tout l’Evangile. Elle est adressée à chaque homme, à chaque chrétien. Beaucoup de jeunes ukrainiens, qui n’avaient aucune formation militaire, ont accepté de rejoindre l’armée pour défendre leurs proches, par amour pour leur terre, leur famille et pour assurer l’avenir des futures générations. Quel a dû être le dilemme moral qu’ont connu tous ces jeunes hommes qui, face à une menace bien réelle, ont vu un choix s’imposer à eux et qui, par acte de courage, ont accepté de donner leur vie…
C’est par le récit de la vie de Dmitro, 25 ans, conté avec émotion par sa mère, Alla, qu’il a été possible d’effleurer du cœur cette douloureuse réalité. Dmitro a perdu la vie un mois et demi après le début de l’invasion russe, dans ce que l’on a appelé depuis, « la bataille de Kyiv ». Cela faisait deux ans que sa mère n’avait pu exprimer une seule parole concernant son fils. Ce témoignage a rendu concret et palpable les déchirures de la guerre qui, pour beaucoup d’Occidentaux, reste floue et désincarnée. La déchirure des cœurs, qui ont perdu des êtres aimés, est vécue au nom de la liberté, qui, nous dit Simone Weil, est un besoin essentiel de l’âme humaine.
Guerres et exil
Ces peines et ces souffrances frappent régulièrement à nos portes, et elles ne viennent pas uniquement d’Ukraine. Il s’agit de cris universels, auxquels le Pape François nous demande de répondre.
La semaine a été aussi l’occasion de rendre hommage aux exilés et aux victimes des conflits armés en général. Quelle paix et quelle justice pour ceux étant « déracinés » de leur patrie ? Le sujet de l’immigration fait tellement débat au sein de nos sociétés, et pourtant, en se rapprochant des réalités de la guerre, on se rend compte que, peut-être, la question porte en elle-même un biais. Le cœur est-il vraiment de savoir si nous pouvons ou non accueillir ou bien de savoir si nos valeurs d’humanité sont encore capables de « résister » à des discours mensongers et manipulateurs ? Une pensée qui cherche à réduire l’immigration à des peurs nie l’humanité des personnes et de leur vécu.
Justice et paix
L’un des éléments qui différencie également les démocraties des dictatures reste la présence et l’efficacité d’une justice indépendante. Beaucoup d’exilés aspirent à voir leurs souffrances et leurs traumatismes reconnus et à être protégés. Garder actives les valeurs des conventions internationales est un engagement nécessaire pour garantir plus d’humanité dans le monde, et donc plus de paix.
Simone Weil rappelait que la clef de toute intégration est avant tout de donner à ceux qui ont tout perdu et qui, peut-être, ne pourront jamais plus retourner sur leur terre, un objet à aimer. A chacun de porter cet espoir que le projet commun de notre pays puisse avoir pour fondement l’inclusion et la découverte de la place unique de chacun dans notre société.