La place des femmes ukrainiennes dans la guerre ? Nous avons interviewé Oksana Mitrofanova, politologue ukrainienne, spécialiste des relations internationales au sein de l’Académie nationale des sciences d’Ukraine. Réfugiée en France depuis mars 2022, elle a été admise au sein du programme PAUSE qui soutient les chercheurs contraints à l’exil. Elle mène actuellement ses travaux de recherche et d’enseignement à l’Institut National des langues et civilisations orientales (INALCO).
L’histoire récente de l’Ukraine est faite de révolutions et de conflits, quelle place y tiennent les femmes ?
Si l’on prend le cas de la Révolution Orange, qui a eu lieu après l’empoisonnement du candidat Viktor Iouchtchenko, les femmes y ont pris leur part au même titre que les hommes. Ça a été le cas aussi pour la révolution de la dignité en 2014 qui a abouti au départ du président Ianoukovitch. Les femmes étaient parmi les manifestants et assuraient aussi une grosse partie de la logistique. Elles ont beaucoup aidé à l’organisation de la vie quotidienne lors de l’occupation de la place Maidan .
Ensuite, au moment de l’annexion de la Crimée et du début de la guerre de basse intensité dans le Donbass, on
a découvert qu’il y avait un grave problème au sein de l’armée ukrainienne qui manquait à la fois de munitions et de matériel pour faire face à la pression des séparatistes, soutenus et armés par la Russie. Des femmes se sont alors organisées pour mettre en place des opérations d’urgence. Une de mes voisines, qui est écrivaine, a lancé une collecte sur les réseaux sociaux pour récupérer des tentes et des sacs de couchage. Puis, elle a laissé ses deux enfants a laissé ses deux enfants à leurs grands-parents et elle est partie pour amener tout cet équipement sur la zone de conflit.
Quel est l’engagement des femmes depuis février 2022 ?
Depuis le début de la guerre à pleine échelle, la situation a changé parce que l’Ukraine a subi des bombardements partout. Beaucoup de personnes ont fui et se sont déplacées à l’intérieur du pays. Les gens partent sans rien avec leurs enfants et/ou leurs animaux. Il faut les nourrir, les loger, assurer certains soins; les femmes sont très investies dans cet accueil des réfugiés intérieurs.
Les femmes s’investissent également dans la défense territoriale : il s’agit de civils qui se sont inscrits pour protéger leur village ou leur quartier. C’était bien réfléchi car les gens connaissent bien l’endroit où ils habitent. Des armes ont été fournies au début par l’État, mais tout le reste de l’équipement (jumelles, vêtements chauds…), ce sont les habitants qui l’ont collecté et qui préparent aussi la nourriture.
Il y aussi des femmes sur le front. Certaines étaient déjà engagées dans l’armée avant la guerre, d’autres l’ont rejointe au début de la guerre. Des femmes médecins sont devenues médecins militaires sur le front, d’autres se sont engagées pour aller au combat et occuper des postes qui ne demandent pas trop de formation. Par exemple, la journaliste d’investigation Tetiana Chornovil, qui a perdu son époux dans cette guerre, a appris à utiliser les armes antichars. Elle combat depuis le début de l’invasion russe. Au début de la guerre, beaucoup de colonnes de blindés russes ont pris la direction de Kiev, c’était très important de pouvoir utiliser ces armes.
Les femmes sont aussi des victimes particulières de cette guerre, de nombreux cas de viols ont été dénoncés…
Cette parole des femmes est très importante pour fixer les crimes de guerre. Violer pendant la guerre, c’est un crime de guerre. Mais pour que ce soit jugé il faut qu’il y ait des preuves. Des procureurs viennent enquêter dans les zones qui ont été occupées pour réunir les preuves mais c’est très difficile d’avoir une idée du nombre de victimes. Beaucoup d’entre elles ne souhaitent pas en parler, elles veulent oublier, passer à autre chose, et parfois elles ont peur. Il y a malgré tout des femmes qui témoignent, qui le rapportent à la police. Les procureurs précisent bien que les viols en temps de guerre ont une dimension particulière. Des enfants, des personnes âgées, des hommes aussi sont violés. C’est l’humiliation qui est recherchée par les coupables. Dans les zones occupées, les personnes arrêtées étaient celles qui parlaient ukrainien, les épouses des militaires ukrainiens ou des volontaires. C’est une méthode pour soumettre la population. Certaines femmes victimes sont à l’étranger, notamment pour y être soignées.