En ce mois de la création 2024, nous vous proposons un entretien avec Claire Robié, journaliste de 27 ans, engagée depuis sa création à l’été 2023, au sein du collectif Lutte et Contemplation. Elle nous témoigne de sa passion de l’engagement aux côtés d’autres militants pour réconcilier l’homme avec la création.
Avant de me spécialiser dans le journalisme, j’ai suivi un parcours de sciences politiques et de relations internationales. Je me suis intéressée tout particulièrement aux questions relatives à la paix et aux enjeux de sécurité. Ensuite, pour le choix de mon métier, j’ai hésité entre la diplomatie et le journalisme et j’ai finalement opté pour la deuxième option en sortant de mes études.
Qu’est-ce que le collectif Lutte et Contemplation et pourquoi avez-vous décidé de le rejoindre ?
Je pense que ce collectif a été une réponse aux questions que je me posais depuis longtemps, à savoir, comment allier ma foi chrétienne à mon désir d’engagement politique et social. Avant, j’avais du mal à concevoir que cela pouvait s’unifier… Pour moi, un engagement ne s’appuyait pas sur la foi et inversement la foi ne nourrissait pas un engagement. En rejoignant le collectif, j’ai répondu à une aspiration profonde. Cela a été en quelque sorte une réconciliation désirée. Le collectif Lutte et Contemplation s’est inspiré de l’ouvrage éponyme de Frère Roger de la communauté de Taizé, dans lequel il réconcilie justement lutte et contemplation, qu’il estime être les deux piliers de l’existence chrétienne. Nous n’avons fait que reprendre cette intuition et l’avons fait nôtre. Notre idée était de se retrouver entre chrétiens afin de s’encourager à agir ensemble pour plus de justice écologique et sociale. Cela passe par des actions très variées : l’interpellation des pouvoirs publics, mener des actions non violentes de protestation (comme des actions de désobéissance civile ou des cercles de silence, par exemple). La prière y tient une grande place, elle est ouverte à tout chrétien par son caractère œcuménique.
Vous parlez de la prière comme un socle de l’action, comment la spiritualité aide-t-elle à réconcilier l’homme avec le vivant ?
Si je me base sur la spiritualité chrétienne – qui est celle que je connais le mieux – j’estime que cette spiritualité permet de réconcilier l’homme et le vivant et qu’elle a toutes les ressources pour apporter des réponses concrètes à la crise écologique actuelle. Je pense notamment à la théologie de la Création qui invite à réconcilier le monde avec une conception erronée de lui-même. L’homme n’est pas au centre de tout, il a été pensé en même temps que le reste de la Création (les plantes, les animaux, les éléments). Les premiers chrétiens n’hésitaient pas à dire que nous étions les « co-créateurs » du monde – terme qui a disparu au XIXe siècle – mais qui reflète l’idée qu’il n’y a pas de rupture entre homme et nature mais continuité, voire enrichissement. Une des crises de la modernité est bien de faire de la nature une ressource, qu’on peut piller, exploiter, dominer. Or, la spiritualité brise ce paradigme. La nature n’est pas une chose inerte, elle fait partie du monde dans lequel l’homme a une place. Quand on commencera à réellement aimer la nature, l’aspiration humaine première sera de la protéger et d’en prendre soin. Saint François d’Assise allait jusqu’à dire que nous sommes frères et sœurs universels, entre nous, humains, mais aussi avec les éléments de la nature.
Comment agissez-vous concrètement ?
La dimension importante est le collectif, nous agissons d’abord ensemble, avec toutes les intelligences, les charismes de chacun. Dans une époque très individualiste, nous voulons témoigner du fait que l’homme est fait pour être avec d’autres. Nous pensons aussi qu’avant de se mettre à agir concrètement, il faut prier pour nourrir son action et son espérance face à des défis qui peuvent décourager. On voit bien que certains jeunes se pressent à rejoindre les manifestations ou les actions de désobéissance civile, mais ils s’essoufflent rapidement parce que leur action n’est pas assez nourrie par la foi. Il y a toujours une ligne de crête difficile à trouver entre le fait que rien ne nous appartient, que nous ne sommes pas des sauveurs et cette grande responsabilité qui nous est pourtant donnée, car le Royaume se construit aujourd’hui et maintenant. J’estime qu’il est mon devoir, en tant que chrétienne, de manifester, de refuser certains discours. On ne peut plus être passifs.
L’écologie est associée aux termes de crise et d’urgence, qu’en est-il de la réconciliation ?
La crise écologique pour beaucoup d’entre nous serait due à une grande rupture entre l’humain et ce qui n’est pas humain. Il nous faut briser cette conception fausse, et les chrétiens peuvent aider à réconcilier sur ce point. On ne fait pas tout par simple devoir ou obligation morale, on fait cela parce qu’on témoigne de l’amour de Dieu pour ce monde. Et nous voulons aimer comme Lui. Lutter pour plus de justice, pour que le projet de pipeline de Total Energie en Ouganda soit arrêté, pour que les banques cessent de financer des projets pétroliers, pour que l’église s’engage dans la finance verte, tout ceci vise au respect de l’œuvre d’amour de Dieu. La deuxième lettre de saint Paul aux Corinthiens nous dit bien que le Christ nous a réconciliés avec Dieu et qu’il nous a « donné le ministère de la Réconciliation ». Cela signifie que les chrétiens ont tous ce ministère de Réconciliation à incarner et à faire vivre. Face à l’urgence écologique, on doit être ceux qui gardent une porte ouverte face à la rupture, aux impasses politiques. On doit être acteurs de dialogue, faire des ponts et appeler à la conversion, individuelle et collective.
Propos recueillis par Bérengère Savelieff