Depuis trois ans, les Amis de la Terre France, Survie et quatre associations ougandaises (AFIEGO, CRED, NAPE/Amis de la Terre Ouganda et NAVODA) ont engagé des poursuites judiciaires contre Total en France, dénonçant les graves violations des droits humains et les risques environnementaux ainsi que climatiques liés au projet l’East African Crude Oil Pipeline (EACOP), un projet d’oléoduc géant que construit TotalEnergies et la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) et qui traversera l’Ouganda et la Tanzanie. La mobilisation citoyenne internationale contre ces projets, menée par la coalition #StopEACOP, a pris de l’ampleur mais Total n’a pas renoncé au projet. GreenFaith, mouvement climatique et environnemental mondial et multiconfessionnel, membre de cette coalition, nous appelle à jeûner à l’occasion de l’assemblée générale de TotalEnergie le 24 mai 2024 : rejoignons le mouvement pour être 1443 jeûneurs contre les 1443 km de l’oléoduc géant (inscription en bas de la page).
Ce projet implique l’expropriation de 118 000 personnes, principalement des paysans, et traverse des réserves naturelles protégées, mettant en danger des écosystèmes uniques, notamment le bassin du lac Victoria, essentiel pour plus de 40 millions de personnes. Le risque de marée noire est élevé, en raison de l’activité sismique de la région. Malgré les avertissements de l’Agence Internationale de l’Énergie et des scientifiques du GIEC, Total ne renonce pas au projet, qui pourrait émettre jusqu’à 34,3 millions de tonnes de CO₂ par an. Total mène même une campagne de communication pour promouvoir les bienfaits supposés du projet et cherche à discréditer ses opposants. Des opérations de transparence ont été tentées, comme des voyages de presse en Ouganda, mais la situation en Tanzanie reste opaque : une enquête récente confirme des violations similaires à celles en Ouganda, avec une liberté d’expression encore plus limitée et des menaces accrues sur l’environnement, notamment dans la zone du port de Tanga.
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Le projet EACOP, quel est-il exactement ?
L’oléoduc projeté sera le plus gong chauffé au monde. Il reliera Hoima en Ouganda à Tanga en Tanzanie, traversant 178 villages ougandais et 231 villages tanzaniens, affectant environ 118 000 personnes et menaçant 2 000 kilomètres carrés de réserves naturelles. Ce pipeline chauffé à 50°C pour transporter le pétrole visqueux, acheminera 216 000 barils par jour, générant 34 millions de tonnes de CO₂ par an.
En Ouganda il est opéré par Total (projet Tilenga) et vise à extraire 190 000 barils par jour, avec 400 puits, dont 132 dans le parc des Murchison Falls. Le projet Kingfisher quant à lui est opéré par CNOOC et extraira 40 000 barils par jour. Ces projets comprennent des infrastructures telles que des usines de traitement du pétrole, des réseaux d’oléoducs, et des systèmes de prélèvement d’eau du lac Albert. Ils pourraient ouvrir la voie à d’autres exploitations pétrolières en Ouganda, en Tanzanie, et dans d’autres pays de la région.
Par ailleurs, la solution de faire passer l’oléoduc par la Tanzanie, promue par Total, est liée à la nature autoritaire du régime tanzanien : le parti Chama Cha Mapinduzi (CCM) contrôle le pouvoir depuis l’indépendance et utilise des lois répressives pour limiter les droits à la liberté d’expression et d’associations. Sous le président John Magufuli, les répressions se sont intensifiées contre les détracteurs du projet, journalistes, et ONG. Bien que la nouvelle présidente Samia Suluhu Hassan ait promis des améliorations, les violations des droits humains persistent.
Un oléoduc dont la construction s’appuie sur des atteintes aux droits de l’homme
Depuis plusieurs années, des enquêtes ont révélé des violations des droits des communautés affectées par les projets EACOP et Tilenga en Ouganda et en Tanzanie. Si Total rejette souvent la faute sur le gouvernement ougandais, en Tanzanie, les pratiques s’éloignent encore davantage des standards internationaux. Les principales violations des droits humains constatées concernent l’absence de consentement libre, l’information préalable, les atteintes au droit de propriété, l’entrave aux droits à un niveau de vie et à un logement décent, l’accès à la santé, ainsi que la restriction de la liberté d’expression.
Pas de consentement
Le consentement libre avec l’accès à l’information préalable est pourtant un droit reconnu par divers traités internationaux que Total s’est engagé à respecter. En réalité, les personnes affectées par le projet (PAP) rencontrent souvent les équipes EACOP seulement lorsqu’elles sont déjà sur leur propriété sans qu’elles aient été consultées ou informées. Quand il y a des réunions d’informations, elles sont souvent données dans une langue que les habitants ne comprennent pas, elles sont éloignées et difficiles d’accès, ou encore, on ne veut pas répondre à leurs questions. Les PAP ne reçoivent pas suffisamment d’informations sur leurs droits, les mécanismes de réclamation, les dates et les montants de compensation. Enfin, les élus locaux sont également tenus à l’écart du processus d’information.
De mauvaises compensations
Les compensations proposées aux habitants pour les terres agricoles notamment, sont insuffisantes, mal évaluées ou sous-évaluées, de sorte qu’elles ne leur permettent pas de racheter des terres équivalentes. De plus, les montants des compensations sont inférieurs à ceux initialement annoncés et n’incluent pas la qualité des sols. Les retards dans le versement des compensations, exacerbés par l’inflation, pénalisent gravement les PAP. De plus, plusieurs variétés d’arbres et de cultures ne sont pas compensées. Les formulaires de consentement sont souvent obtenus sous la contrainte, les PAP signant par crainte de perdre leurs terres sans aucune compensation. Ces formulaires sont souvent incompréhensibles et non fournis à l’avance, empêchant les PAP de demander des conseils, et il leur est interdit de conserver une copie après signature.
Des restrictions à la propriété
Ainsi les atteintes au droit de propriété des communautés affectées sont nombreuses. Elles sont aggravées par des interdictions de cultiver leurs terres agricoles, avec des restrictions sévères même lorsque des autorisations partielles sont accordées. Les cultures pérennes, pourtant vitales pour les familles, sont interdites; de même que d’autres activités économiques comme l’apiculture et l’exploitation forestière. En ce qui concerne les habitations, les interdictions de construire, d’agrandir ou de réparer les maisons sont fréquentes, et les projets d’installation d’équipements de base comme l’eau courante sont bloqués.
Un appauvrissement inquiétant
Les retards interminables dans le versement des compensations ont des conséquences dramatiques. La majorité des personnes affectées attendent toujours leur indemnisation, et en attendant, leurs maisons se dégradent et les pénuries alimentaires s’aggravent. Les distributions de nourriture sont inadaptées et insuffisantes, et de nombreux enfants ont été déscolarisés. De plus, le déplacement des tombes s’effectue sans respecter les traditions culturelles locales.
Une dégradation de la qualité de vie des habitants
Dans le long terme, on constate une forte dégradation de la qualité de vie, et une crainte de carences alimentaires des communautés impactées par le projet. L’accaparement des terres et la sous-évaluation des compensations, l’inflation et la compensation en monétaire imposées de façon presque systématique, appauvrissent les familles qui ne peuvent racheter des terres équivalentes à celle qui leurs sont prises. Quand des terres de remplacement sont proposées, elles sont souvent non fertiles. Lors des découpages, les terres restantes sont trop petites pour être exploitables ou elles sont éparpillées, ce qui rend leur exploitation difficile.
Un oléoduc aux impacts extrêmement lourds sur l’environnement et la biodiversité
Des risques pèsent en effet sur une Biodiversité tout à fait unique car le projet EACOP traverse des régions riches en biodiversité, et impacte des zones protégées et des corridors fauniques en Tanzanie et en Ouganda. En Tanzanie, il affectera 35 cours d’eau ainsi que le bassin du lac Victoria, une source majeure du Nil, vitale pour 40 millions de personnes. Environ 2 000 km² d’habitats fauniques protégés seront détruits, fragmentés ou dégradés. Les zones et espèces menacées incluent la réserve Burigi-Biharamulo, abritant plus de 400 espèces, et la steppe de Wembere, un corridor crucial pour la faune. Des réserves forestières comme Minziro et Swaga-Swaga seront également impactées. Parmi les espèces menacées figurent les chimpanzés, les tortues de mer, les dugongs et plusieurs espèces migratoires comme les éléphants et les zèbres.
Des risques de fuites inévitables et un appauvrissement en eau
Les fuites de pétrole constituent un risque inévitable et incontrôlable, selon le groupe d’experts E-Tech, surtout en raison de l’activité sismique dans la vallée du Rift. Les mesures de prévention sont jugées insuffisantes, ce qui met en péril l’eau du lac Victoria et affecte la vie de millions de personnes. En outre, le projet consommera plus de 160 millions de mètres cubes d’eau, exacerbant les problèmes de sécheresse et de stress hydrique dans la région.
La construction d’un Port Pétrolier au Cœur de Parcs Marins Protégés
La construction d’un terminal de stockage maritime est prévue près du port de Tanga. Ce terminal couvrira 72 hectares avec une capacité de 2 millions de barils. Il se situera à proximité de zones marines protégées, comme le Parc Marin des Coelacanthe Tanga, la réserve de Pemba-Shimoni-Kisite, et l’île de Pemba. Les risques pour les écosystèmes marins incluent la présence de récifs coralliens, de mangroves, de prairies sous-marines, ainsi que des espèces telles que les tortues et les dauphins. La construction augmente les risques de fuites de pétrole, de tsunamis et de cyclones, menaçant gravement ces écosystèmes.
Des émissions de gaz à effet de serre sous évaluées
Total minimise les émissions de gaz à effet de serre associées au projet EACOP ainsi qu’aux projets d’exploitation Tilenga et Kingfisher. Les chiffres fournis par Total excluent les émissions dues au transport maritime, au raffinage et à l’utilisation du pétrole. Les émissions prévues sont incompatibles avec l’Accord de Paris et les conclusions du GIEC. Pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, il est impératif de ne pas lancer de nouveaux projets d’exploitation d’énergies fossiles.
Ce bilan accablant rend ce projet d’oléoduc inacceptable et appelle à son abandon immédiat, avec une réparation pour les communautés affectées. Pax Christi appelle à rejoindre la campagne Stop EACOP et vous invite au jeûne interreligieux proposé par Greenfaith pour que nous soyons au moins 1443 jeûneurs.
A lire aussi le Rapport de Greefaith
Voir l'article sur l'action lors de l'AG de TotalEnergie 2023