À l’occasion de la journée internationale des femmes, retour sur la Biélorussie. Sous la dictature de Lukashenko, les femmes se voient spoliées de leurs droits les plus élémentaires à tous les niveaux : à la maison, au travail, dans la rue et en prison. Par le contrôle de leurs corps et de leurs choix, par la négation de leurs droits civiques et de leur égalité vis-à-vis des hommes, le gouvernement fait montre d’une violence sexiste extrême. Ces violences systémiques violent la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) ratifiée en 1981 et son indignes.
Olga Karatch, défenseuse des droits humains biélorusse, réfugiée en Lituanie, et fondatrice de l’ONG “Our House”, tire encore une fois la sonnette d’alarme : “la situation des femmes en Biélorussie est très préoccupante. L’Etat s’emploie activement à étouffer leur voix et leur autonomie à tous les niveaux.” Dans ce contexte, les femmes sont invisibilisées et fortement empêchées de résister et de manifester contre les violences qu’elles subissent. Une répression violente, liée à de puissants stéréotypes de genre très ancrés et renforcés par le climat politique général, se déroule silencieusement aux portes de l’Europe.
Stigmatisation et violences en prison
En détention, les prisonnières politiques sont les premières cibles de privations en tous genres. L’accès aux produits d’hygiène de base et protections mensuelles, à la douche et à des vêtements propres leur sont refusés. “Une de mes collègues a été détenue 60 jours pour avoir participé aux manifestations de 2020. Pendant toute cette période, elle et ses co-détenues n’ont eu accès à aucun produit d’hygiène et ont dû vivre avec les mêmes habits, des vêtements qu’un agent pénitentiaire avait aspergés de chlore sous prétexte de prévenir le COVID-19. Ces situations dégradantes sont une forme de torture ” rappelle Olga Karatch.
Aux fouilles à nu forcées et aux examens médicaux humiliants, s’ajoutent le rasage de leur tête. Réservée aux femmes, cette pratique – qui cherche à leur enlever leur féminité et ébranle leur identité, provoque les moqueries et s’ajoute aux traitements cruels des autres prisonnières. C’est un outil puissant de stigmatisation et d’humiliation. Souvent abandonnées de leurs familles, elles sont contraintes au divorce, et endurent souvent seules la brutalité de ce système carcéral, ce qui rend leur survie encore plus difficile.
L’enlèvement d’enfants
Les femmes qui défendent les droits de l’homme, qui sont journalistes, activistes ou dissidentes politiques, se voient souvent retirer leurs enfants au prétexte qu’elles seraient de “mauvaises mères”. Entre août 2020 et janvier 2021, l’État évoquait plus de 1 200 enfants dans ce cas. “ En 2013, lorsque le régime a tenté d’enlever mon fils d’un mois, Sviatoslav, j’ai été l’une des premières victimes de cette pratique répressive” se souvient Olga Karatch. “Pour lutter contre cette situation et les stéréotypes qui allaient de pair et qui étaient largement acceptés par la population, et protéger ces mères, nous avons lancé la campagne « Non-Children Case ». Heureusement, face à l’ampleur de cette répression, il y a une prise de conscience et la stigmatisation diminue.”
Le poids du “devoir”
Le recours à la psychiatrie punitive est une autre forme de répression des femmes qui s’opposent ouvertement à la corruption locale, en particulier en milieu rural. “Ces femmes se retrouvent extrêmement vulnérables, telle ma collègue Kristina Shafikova, qui a été enlevée par des officiers du KGB dans les rues de Minsk et emmenée de force dans un hôpital psychiatrique à Mogilev, où on lui a injecté des médicaments psychotropes. Malheureusement, cette pratique est tellement répandue qu’elle ne reçoit que peu d’attention.”
Il y a aussi les pressions économiques :Les femmes qui résistent au système subissent une pression économique (perte d’emploi, lourdes amendes) qui met leurs famille en danger et les culpabilise. Cette culpabilité est utilisée comme une arme de répression psychique.
Les épouses de prisonniers politiques sont aussi particulièrement à plaindre. “Alors que le sort des prisonniers politiques masculins est largement discuté (torture, mauvais traitement et même mort), peu d’attention est accordée à leurs épouses qui sont de leur côté confrontées à une répression brutale. Elles doivent supporter la lourde charge économique du foyer alors que les employeurs sont incités à ne pas les embaucher. La police et le KGB les surveillent, perquisitionnent leur logement et les passent à tabac… En procédant ainsi, le régime a soin de les maintenir dans la pauvreté souvent jusqu’à la famine. Et, malheureusement, la société civile fait preuve de très peu de solidarité à leur égard. Elles sont laissées seules face à d’immenses luttes.”
Dans cette société patriarcale, la femme a le devoir de s’occuper de son mari, mais pas l’inverse. “Rarement, un homme va soutenir et défendre sa femme en prison, et la police protéger une femme victime de violences domestiques pour qui il n’existe d’ailleurs aucune institution chargée de le faire.
Lutter pour retrouver la liberté
Malgré tous ces défis, on parle peu de ces femmes. Cette situation est alarmante et déchirante : “De la violence domestique à la répression politique en passant par les droits reproductifs, l’État s’emploie activement à étouffer la voix et l’autonomie des femmes. Sans protection ni soutien de la part du gouvernement, elles sont isolées face à la violence, aux abus et à la discrimination. Le manque de ressources pour les victimes de violences domestiques, le contrôle de la santé reproductive des femmes et la répression politique constante à leur égard font tous partie d’un système plus large qui les maintient en position de subordination. Tant que ces questions ne seront pas abordées et que les femmes ne recevront pas le soutien et l’égalité qu’elles méritent, la lutte pour les droits des femmes en Biélorussie continuera d’être un combat long et difficile.”
Témoignage recueilli par Marine de Vanssay en novembre 2024
Emprisonnement pour délits mineurs et non violents, tels que la drogue
“Girls 328” est une campagne qui défend et soutient les adolescentes détenues et condamnées à 8-10 ans de prison pour des délits mineurs et non violents liés à la drogue. Contrairement aux garçons, qui sont soutenus par leur famille tout au long de la procédure judiciaire, les filles sont souvent abandonnées à leur sort, avec trop peu de ressources pour survivre. Même lorsque les accusations portées contre elles sont de fausses allégations produites par l’Etat, leurs familles peuvent refuser de les aider, les laissant isolées en prison.
Les effets politiques d’une société patriarcale
En Biélorussie, la situation de domination masculine est systémique et lorsqu’Alexandre Loukachenko fait de « Une femme aimée ne se donne pas » le slogan de sa campagne présidentielle de 2020, il révèle un État qui veut contrôler le corps des femmes, leurs choix et leurs libertés. Cela va très loin : pour obtenir un permis de conduire, une femme doit présenter un certificat gynécologique prouvant qu’elle n’est ni enceinte ni porteuse de maladies sexuellement transmissibles, ce qui n’est pas exigé des hommes.”
En déclarant que la Constitution du Belarus « n’est pas pour les femmes », Loukachenko nie aussi la Constitution qui garantit théoriquement leur égalité, et sape leurs capacités citoyennes et politiques. “Souvent reléguées dans des rôles traditionnels, leur voix est réduite au silence au profit de celles des hommes qui les contraignent par ailleurs à faire l’annonce publiquement de décisions qui déservent la population et qu’elles n’ont pas prises. C’est particulièrement visible dans le processus électoral où les femmes sont placées à des sièges de commissions afin de produire des statistiques en faveur du gouvernement. Elles sont utilisées comme des marionnettes par un régime patriarcal qui les prive de leurs propres choix en s’en sert de porte-voix” confie la défenseuse des droits biélorusse, Olga Karatch.
POUR ALLER PLUS LOIN : Cette situation est dénoncée en détail dans le rapport récent du Centre international d'initiatives civiles « Our House ».