La remise en cause de la paix dans le monde

La commission des affaires étrangères de l’Assemblée Nationale organisait le 22 mars, une table ronde sur la remise en cause de la paix dans le monde aujourd’hui,  ouverte à la presse. Pax Christi a souhaité en rendre compte ici.

Les enjeux de la paix, un « vaste programme » comme a pu l’introduire le président de séance, Jean-Louis Bourlanges, en reprenant des propos du Général de Gaulle. Etaient invités à s’exprimer Dominique David, conseiller et président de l’IFRI, ainsi que Justin Vaïsse, fondateur du Forum de Paris sur la paix. Les deux intervenants ont mis l’accent sur le manque de gouvernance mondiale, facteur majeur de déstabilisation à l’échelle internationale.

Déstabilisation de l’ordre mondial

Dans son exposé, Dominique David a mis l’accent sur l’explosion du système de puissance créé dans les années 1990, qui reposait essentiellement sur l’hégémonie américaine alors régulatrice des relations internationales. Ce système, qui agit sur la base d’une puissance de domination et d’un certain consensus autour de valeurs dites occidentales, a été peu à peu mis à mal par l’explosion de plusieurs crises internationales qui ont montré à la fois sa « vulnérabilité » (attentats du 11/09 2001), son « arrogance » (guerre en Irak de 2003) et son « impuissance » (face à la crise économique de 2008 ou la pandémie de Covid-19 en 2020).

Force est de constater que le monde unipolaire d’autrefois rebascule fortement aujourd’hui dans un monde « multipolaire » et que cette ouverture de

l’espace stratégique à d’autres puissances rend plus difficile la gestion d’enjeux planétaires qui menacent pourtant l’espèce humaine (à l’instar du réchauffement climatique).

Le multilatéralisme tel que le monde l’a connu jusqu’ ici est fortement remis en question (tentation de l’isolationnisme américain) alors que les défis auxquels l’humanité est confrontée requiert la mise en place de solutions collectives et urgentes. On voit émerger des formes de multilatéralismes éclatés, parcellaires qui engendrent un multi-polarisme croissant.

Non seulement il n’existe pas de référence centrale pour réguler les conflits, mais s’y ajoute un mépris et un détournement grandissant du droit international, allant de pair avec un rejet des valeurs dites occidentales, que les médias appellent la « cristallisation anti-occidentale » portée par des régimes totalitaires comme la Russie.

Chambre du Conseil de Sécurité de l'ONU

Tendre vers un monde sans coopération et de plus en plus anarchique entrave la régulation des menaces de paix, qui ne peuvent plus être traitées au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies – complètement bloqué par les rivalités entre Etats. La régulation s’effectue désormais de manière plus fébrile, à travers des formes de négociations partielles, de rapports de force relatifs ou par la menace nucléaire.

Quelles conséquences ?

Pour Justin Vaïsse, plusieurs enjeux requièrent une coopération mondiale et une gouvernance commune, notamment le risque d’une nouvelle pandémie, les migrations climatiques, l’absence de régulation du trafic spatial.

Dans son exposé, il alerte sur le fossé qui ne cesse de s’accentuer entre le Nord et le Sud en répercussion de la

pandémie de Covid-19, de la guerre en Ukraine, de l’inflation et du resserrement de la politique monétaire mondiale.

Le soutien financier important mobilisé pour soutenir l’Ukraine a des répercussions conséquentes sur l’aide au développement et incite les pays européens à rechercher de nouvelles sources notamment de gaz, qui vient à manquer à cause du conflit. Ceci s’inscrit en contradiction avec les engagements dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Quels chantiers ?

Sur le court terme, Dominique David indique quatre demandes à caractère urgent.

Premièrement, il semble crucial pour faire face aux crises d’essayer d’articuler des accords régionaux avec des garanties internationales. Le retour à un monde multipolaire risque d’engendrer la multiplication des accords entre acteurs régionaux et il faudrait pouvoir les relier à des garanties que donnerait le Conseil de sécurité des Nations Unies. Or, celui-ci étant paralysé par des rivalités entre grandes puissances est actuellement inopérant en ce sens ; ce qui est problématique.

Deuxièmement, il faudrait réussir à construire un consensus minimal dans les enjeux majeurs ayant un impact mondial, à savoir les migrations, les enjeux liés à la santé, le réchauffement climatique et l’alimentation.

Troisièmement, il est nécessaire d’aider à consolider les ordres régionaux et d’avoir comme travail prioritaire la consolidation de l’espace européen.

Quatrièmement, il reste une urgence qui ne semble pas être considérée comme telle mais qui est pourtant est on ne peut plus brûlante qui est la négociation sur les armements. La période actuelle montre que nous sommes face à des quantités d’armements considérables qui circulent dans le monde et face à une accélération inquiétante du réarmement. Le problème de la prolifération nucléaire se pose de nouveau, beaucoup d’Etats possèdent l’arme nucléaire ou cherchent à la posséder. Aujourd’hui, contrairement au XXe siècle où le risque nucléaire représentait réellement la menace planétaire la plus forte, au XXIe siècle il y a l’enjeu climatique qui devrait être au cœur de tous les autres enjeux.

Dans cette recherche d’un nouvel équilibre pour le monde, il semble également urgent de pouvoir redonner sa place aux Nations Unies, dans la crise ukrainienne, dans la crise gazaouie, et de pouvoir lui réaccorder une légitimité.

Bérengère Savelieff, Chargée d’éducation à la paix, Pax Christi France

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