A l’occasion de l’anniversaire du Traité de Lancaster (2010) relatif à la coopération dans le domaine du nucléaire militaire et civil entre la France et la Grande-Bretagne, Pax Christi France et Pax Christi Angleterre et Pays de Galles souhaitent rappeler aux décideurs politiques l’existence du Traité pour l’interdiction de l’arme nucléaire (TIAN, 2021) et les inviter à faire le geste symbolique mais politiquement important en assistant en tant qu’observateurs à la prochaine réunion des Partie contractantes de ce traité. En tant qu’Etats détenteurs de l’arme atomique, la France et la Grande-Bretagne n’ont pas signé ce traité, mais en tant que signataires du Traité de Non-Prolifération (TNP, 1963), ces Etats sont tenus d’œuvrer de bonne foi pour le désarmement nucléaire.
Cet appel soutenu par de nombreux autres mouvements et institutions chrétiennes des deux pays, sera prochainement porté officiellement à l’attention des hautes autorités politiques françaises et britaniques. Pax Christi vous invite à en prendre connaissance et à le co-signer.
Déclaration à l’occasion de l’anniversaire du Traité de coopération en matière de défense et de sécurité entre le Royaume Uni et la République française (« Traités de Lancaster House/Teutates »)
Aujourd’hui, neuf pays détiennent 12 121 armes nucléaires, lesquelles représentent pour l’humanité une menace aussi grave que celles que font peser le dérèglement climatique ou l’effondrement de la biodiversité. En effet l’explosion de quelques unes d’entre elles dans le cadre d’un conflit, même géographiquement limité, pourrait conduire à une catastrophe environnementale généralisée, sans négliger le nombre de victimes humaines qu’elle provoquerait.
L’attribution du prix Nobel de la paix 2024 à l’organisation japonaise Nihon Hidankyo pour son combat contre l’arme atomique vient nous rappeler l’horreur des souffrances humaines qu’entraînerait immanquablement toute utilisation de ces armes terrifiantes. Les membres du comité Nobel font état de leur préoccupation quant à un risque accru de déclenchement d’un tel cataclysme.
De plus, les dépenses mondiales engagées pour leur production et leur maintenance sont considérables, estimées annuelle ment à plus de 90 milliards de dollars (plus de 80 milliards d euros), soit plus de 150 000 euros par minute. Des sommes faramineuses qui pourraient être investies dans l’éducation, la santé ou la lutte contre la misère, et permettre ainsi d’atteindre les objectifs de développement durable (ODD) fixés par l ONU pour 2030.
Quant à leur utilité, elle relève sans doute davantage d’une croyance illusoire que d’une réelle efficacité de leur aspect dissuasif. Ainsi les armes nucléaires détenues par les pays de l OTAN n’ont pas empêché l’agression de l’Ukraine par la Russie. Peut être même les armes détenues par cette dernière ont elles autorisé Vladimir Poutine à engager cette guerre, au risque de la voir devenir un conflit nucléaire mondial ?
C’est dans ce contexte préoccupant que, à l’occasion du 14 ème anniversaire de la signature des Traités de Lancaster House/ Teutates le 2 novembre 2010 entre la Grande Bretagne et la France, nous rendons publique cette déclaration signée par des représentants chrétiens de ces deux pays. Ces Traités évoquent un « partenariat à long terme mutuellement bénéfique en matière de défense et de sécurité » et prévoient d’utiliser en commun les installations de Valduc (France) et Aldermaston (Grande
Bretagne) pour modéliser et améliorer les performances de leurs ogives nucléaires, tout en reconnaissant que « la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs est l’une des menaces les plus graves pour la paix et la sécurité internationales » . Ces Traités affirment aussi que les deux pays œuvreront « à renforcer le Traité de non prolifération nucléaire, l’une des pierres angulaires de l’architecture de sécurité internationale, et soutiendront les efforts en cours dans ses trois piliers : la non prolifération, l’utilisation pacifique de l énergie nucléaire et le désarmement ». Quatorze ans après, il apparaît que nos deux pays n’ont pas réellement fait de pas dans cette direction.
Nous souhaitons donc saisir l’occasion de cet anniversaire pour exhorter les dirigeants et gouvernements britanniques et français à prendre vraiment des mesures significatives, et vérifiables, pour enfin honorer leur engagement à un désarmement nucléaire, mentionné dans l’article VI du Traité de non-prolifération (TNP) dont nos deux pays sont États parties. Nous les encourageons aussi à adopter une attitude plus constructive à l’égard du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) entré en vigueur le 22 janvier 2021, en annonçant leur participation comme observateurs à la prochaine réunion des 94 pays l’ayant déjà signé ou ratifié, le Saint Siège ayant été l’un des promoteurs de ce traité. Le TIAN est en effet présenté par ses signataires comme une application concrète de l’article VI du TNP.
Notre déclaration est conforme à l’enseignement de l’Église catholique, réaffirmé clairement et avec gravité en de multiples occasions depuis le début de ce siècle, et particulièrement par les papes Benoît XVI et François. Elle se veut aussi le prolongement du document Called to be Peacemakers : A Catholic approach to arms control and disarmament publié récemment par les évêques du département des affaires internationales des évêques catholiques d’Angleterre et du Pays de Galle, qui invite le gouvernement britannique à renoncer à terme à son arsenal nucléaire afin de contribuer à l’émergence d’un monde dénucléarisé, conformément aux obligations prises lors de la ratification du TNP. Ce document invite également les dirigeants britanniques à participer comme observateurs aux prochaines réunions des signataires du TIAN, puis à signer et ratifier ce Traité, permettant alors de réorienter les dépenses consacrées aux armes nucléaires vers le champ social, promouvant ainsi le bien commun universel.
Dans une déclaration commune publiée en 2023, les dirigeants de nos deux pays réitèrent leur opposition au TIAN au prétexte qu’il « ne reflète pas l’environnement de sécurité international de plus en plus difficile et est en contradiction avec l’architecture existante de non-prolifération et de désarmement ». Or on ne peut pas affirmer que le TIAN serait « en contradiction avec l’architecture existante de non-prolifération » à partir du moment où c’est précisément le TNP, que nos pays veulent défendre, qui préconise la non-prolifération et le désarmement. Le TIAN ne fait que porter cette logique à sa conclusion inéluctable.
À son retour d’Hiroshima, en novembre 2019, le pape François a réaffirmé que « l’utilisation d’armes nucléaires est immorale (…) et pas seulement leur utilisation, mais aussi leur possession, car un accident [dû à] cette possession ou à la folie d’un dirigeant (…) peut conduire à la destruction de l’humanité ». Cette parole nous invite à ne pas nous taire, au risque sinon que les pierres elles-mêmes ne crient (Luc 19, 40).
26 novembre 2024
Les signataires :
- Action des chrétiens pour l’abolition de la torture-ACAT France (Yves Rolland, Président)
- Anglican Christian Fellowship(Sue Claydon, chair)
- Centre de recherche et d’action sociales-CERAS (Marcel Rémon, Directeur)
- CCFD-Terre solidaire (Virginie Amieux, Présidente)
- Commission Justice et Paix France (Michel Roy, Secrétaire général)
- Communauté Mission de France -CMdF (Henri Védrine, Vicaire Général)
- Fellowship of Reconciliation (John Cooper, Director)
- Mouvement International de la Réconciliation -MIR-IFOR(Josette Gazzaniga et Augustin Nkundabashaka, co-présidents)
- Pax Christi England and Wales (Andrew Jackson, Chief executive)
- Pax Christi France (Alfonso Zardi, Délégué général)