C’était un rendez-vous attendu. Pour la première fois le G7 s’est réuni à Hiroshima, laissant espérer une déclaration forte des dirigeants sur la menace nucléaire. Avant la rencontre en cette ville martyre, le pape François avait interpellé les chefs d’Etats dans une lettre adressée à l’évêque d’Hiroshima, jugeant que l’arme nucléaire « n’est qu’un multiplicateur de risques qui n’offre qu’une illusion de paix ». Pax Christi International a également adressé un courrier au premier ministre japonais appelant à une série de mesures qui visent, à terme, l’élimination des arsenaux nucléaires . Ce G7 n’aura finalement pas été à la hauteur des attentes, comme le regrette Jean-Marie Collin, directeur de la campagne ICAN France.
Jean-Marie Collin
ICAN France
Le lieu choisi pour ce G7 laissait espérer une déclaration forte sur l’armement nucléaire, qu’en est-il ?
Hiroshima est, avec la ville de Nagasaki, le symbole de la destruction et de l’horreur atomique. De ce fait, nous pouvions effectivement attendre de la part des membres du G7 une déclaration à minima respectueuse de ce lieu de mémoire à travers la définition d’une vision réelle en faveur du désarmement nucléaire.
La vision énoncée est tout le contraire. Elle s’appuie sur des processus intéressants que les dirigeants tentent de mettre en œuvre depuis plusieurs décennies mais qu’ils bloquent eux-mêmes. Pensons au Traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), outil important pour lutter contre la prolifération nucléaire, mais auquel les États-Unis refusent eux-mêmes d’adhérer. D’autre part, demander que le Traité de non-proliféra-
tion nucléaire (TNP) soit respecté et appliqué par tous est un minimum, non pas une solution pour parvenir à l’élimination des près de 13000 armes que comptent les arsenaux de la planète. À cela, il convient d’ajouter que ces mêmes acteurs ne respectent pas les obligations énoncées dans ce traité. À titre d’exemple, la France s’est lancée dans un programme massif de modernisation et de renouvellement de son arsenal nucléaire, dont les systèmes d’armes doivent officiellement fonctionner jusqu’en 2090. Si c’est cela la vision française du désarmement, il est certain que ce n’est pas la même que celle qui était attendue par les Hibakusha, les survivants de ces drames atomiques.
Notre campagne appelait le président Macron à saisir cette occasion pour marquer l’Histoire par son courage politique et non de la marquer par le sceau de l’hypocrisie. Nous savons désormais où se situe son « courage ». Une réelle vision aurait été de prendre en compte le Traité sur l‘interdiction des armes nucléaires (TIAN) qui compte 68 États membres et 92 États signataires.
crédit : Horatio J. Kookaburra /flickr
Les dirigeants du G7 pointent la responsabilité de la Russie et de la Corée du Nord sur cette question, que dire de leur propre rapport à l’arme nucléaire ?
Il est toujours facile d’accuser les autres et de ne pas faire sa propre introspection. Mais, il n’y a pas de bonnes mains pour les armes nucléaires, les 9 États disposant de ces armes de destruction massive mettent le monde entier en danger. Ils promeuvent tous une politique de défense basée sur l’acceptation de viser et de massacrer des populations civiles. Oui, il est évident qu’aujourd’hui la Russie à travers l’utilisation agressive de sa politique de dissuasion et ses multiples menaces d’emploi, également réalisée par la Corée du nord, a une culpabilité plus grande ; mais il faut rappeler que les États-Unis ont aussi proféré de nombreuses menaces d’emploi de cette arme de destruction massive depuis 1945.
D’autre part, alors que 122 États ont adopté, dans le cadre de négociations le 6 juillet 2017 aux Nations unies, le Traité sur l‘interdiction des armes nucléaires, ces puissances nucléaires (États-Unis, Russie, Royaume Uni, France, Chine) ont communiqué de façon massive et ensemble pour dénoncer l’attitude irresponsables de ces États qui souhaitent mettre un terme à ce danger nucléaire. Cette attitude schizophrène montre leur irresponsabilité et leur volonté de perpétuer un système d’arme capable de remettre en cause la société dans laquelle nous vivons. La France joue à ce titre un rôle particulier. Elle apparaît être la plus virulente pour critiquer cette norme et ses autorités politiques et diplomatiques s’activent pour diffuser des affirmations fausses. Refuser un traité est un acte politique, proclamer des mensonges est un acte dangereux.
Comment convaincre les pays du G7, et la France en premier lieu, de signer le TIAN alors que Vladimir Poutine agite la menace d’une guerre atomique ?
Les règles de droit international (de la guerre, humanitaire, de l’enfance,…) visent à être appliquées par les démocraties. Personne n’attend que la Corée du Nord applique en premier le droit, car cette vision impliquerait que les démocraties fassent reposer la justice internationale sur des prises de position d’États non démocratiques ! Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) ne s’attaque pas aux démocraties, mais il les rend plus fortes et les distingue des États autoritaires. D’autre part, comment ces « démocraties nucléaires » comptent-elles agir pour obtenir l’élimination des armes nucléaires, par exemple, nord-coréennes, si ce n’est pas par le droit ?
Le TIAN est le fruit d’un processus qui, depuis son entrée en vigueur le 22 janvier 2021, comble un vide juridique majeur du droit international. Un moyen simple qui distinguerait la France de ces États autoritaires serait d’annoncer sa participation comme État observateur, à la Seconde réunion des États parties au TIAN qui se déroulera au siège des Nations unies à New York en novembre prochain. Il est temps que la France cesse la politique de la « chaise vide » dans les enceintes du désarmement. Il n’y a aucune raison de s’isoler de la scène internationale et européenne. L’absence de la France, alors même qu’une crise nucléaire frappe le régime mondial de désarmement et de non-prolifération – sur fond de menaces exprimées par la Russie – serait le marqueur d’une faute et serait incompréhensible pour les Français.e.s et les élu.e.s qui soutiennent ce traité.