Pour éclairer les consciences dans l’entre-deux tours des élections présidentielles, Pax Christi France a demandé à ses commissions, de réfléchir aux conditions nécessaires à la construction d’une société apaisée.
La commission Europe analyse les conséquences d’une éventuelle « politique des mains libres » face à l’Europe:
Une communauté de destin ?
Depuis 70 ans, la politique étrangère de la France repose sur la construction progressive d’une solidarité européenne allant bien au-delà des simples alliances bilatérales ou d’intérêts pour donner vie à une véritable « communauté de destin ».
Aujourd’hui, c’est bien l’ensemble des liens, solidarités, droits et obligations qui fait « communauté » entre les Européens que Marine Le Pen, si elle est élue présidente, entend démanteler au nom d’une politique revendiquée « des mains libres » sur le plan de la sécurité militaire et en remplaçant l’Union européenne par une « Alliance Européenne des Nations ».
Ces deux objectifs, à supposer qu’ils soient politiquement atteignables, impliquent un décrochage généralisé des traités qui lient actuellement la France et l’hypothétique reconstitution d’un réseau de « coopérations diverses » avec les pays qui auraient la même vision de leurs propres intérêts que la France de Marine Le Pen.
Sans réclamer la sortie brutale de l’Union européenne, Madame Le Pen est néanmoins déterminée à désengager la France de la plupart de ses obligations découlant de son appartenance à l’Union.
Car les mesures qu’elle s’engage à faire adopter en matière de regroupement familial, d’accueil ou plutôt de renvoi des migrants et des demandeurs d’asile et réfugiés, d’accès aux prestations sociales, de contrôles aux frontières, de préférence nationale, etc. équivalent à une mise à l’écart ou à une violation systématique des dispositions du droit européen actuellement applicables dans toutes ces matières.
Pour Marine Le Pen, la réponse à cet imbroglio juridique est l’adoption par référendum d’un ensemble d’amendements à la Constitution qui imposeront la primauté du droit national sur le droit européen, en écartant ainsi non seulement règlements et directives mais aussi la jurisprudence de la Cour de Justice et de la Cour des droits de l’homme en matière de libertés individuelles, de droits sociaux et familiaux, d’égalité de traitement, de solidarité et de fraternité.
Une politique dangereuse
Quant à la politique « des mains libres » qu’elle revendique orgueilleusement en ayant recours à une terminologie d’un autre âge, celle-ci est non seulement dangereuse mais futile. Dangereuse car elle revient à faire de la France, dotée de l’arme nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, un Etat à la politique étrangère erratique, dictée par sa propre et unique vision géopolitique, à l’instar de la Russie de Vladimir Poutine (avec laquelle par contre « une alliance sera recherchée » sur des sujets tels que la sécurité, la lutte contre le terrorisme, les questions régionales « impactant la France »).
La vision de la France, puissance des mers à vocation planétaire que nourrit Madame Le Pen est aussi futile : que pèse-t-elle face à la Chine ou aux Etats-Unis dans le Pacifique si elle sort des alliances dans lesquelles elle est aujourd’hui installée? Et en Europe, de quels arguments et de quel héritage peut-elle se prévaloir pour rassembler d’autres Etats dans l’ « Alliance des nations européennes » dont elle rêve ?
Les Etats « souverainistes » qui rechignent, il est vrai, à se soumettre à « Bruxelles » sur le plan du droit, n’envisagent pas un seul instant de sortir de l’Union, de renoncer aux financements européens ou de s’exclure du parapluie militaire américain.
Une France isolée de l’Europe ?
A l’opposé de la vision de « grandeur » qu’elle s’efforce de proposer, la France-sans-l’Europe de Marine Le Pen risque de se retrouver isolée, en litige permanent avec ses anciens amis et alliés, en proie aux tentations mortifères des puissances qui ne rêvent que de diviser l’Europe pour mieux y régner.
C’est l’Europe et l’Europe seule, patiemment construite et imparfaitement réalisée, abusivement qualifiée par Madame Le Pen de « super-Etat fédéraliste chargé d’idéologie » qui fait de la France le pays prospère, libre et démocratique qu’elle est aujourd’hui. L’Europe de l’Etat de droit, ancré dans la Convention des droits de l’homme et dans la Charte des droits sociaux de l’Union européenne, garantissent le respect de l’équilibre entre liberté et autorité, entre démocratie et populisme, entre fraternité et exclusion.
C’est pour vouloir appartenir à cette Europe-là que l’Ukraine est aujourd’hui incroyablement « punie » et en passe d’être anéantie par son voisin russe. Quant à la France, elle y a toute sa place. Pense-t-elle vraiment qu’elle serait la même, voire meilleure en lui tournant le dos ?