Aujourd’hui, les religions semblent trop souvent être au centre des crises mondiales : terrorisme religieux, persécutions religieuses, violence sectaire, nationalisme religieux et même récemment le « retour » du langage des guerres saintes et religieuses en Ukraine et dans le conflit israélo-palestinien. La religion est, hélas, de plus en plus considérée comme faisant partie du problème. Tout cela rend plus difficile la cohabitation dans la diversité et la paix. Dans ce contexte sombre, on peut toutefois voir des graines d’espoir pour l’unité, pousser à travers le processus d’une nouvelle ère de solidarité interreligieuse, développée au niveau mondial et local, au cours du XXIe siècle.
Nous vivons à la conjonction de deux crises mondiales majeures qui s’imbriquent l’une dans l’autre. Tout d’abord, une crise écologique/économique planétaire illustrée par le fait qu’à cinq ans de la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies pour 2030, aucun pays n’est en passe d’y parvenir. Les ODD sont devenus un acronyme vide de sens, et leur promesse centrale de « ne laisser personne de côté » n’a pas été tenue face aux énormes défis existentiels que sont la pauvreté, la discrimination, la dégradation de l’environnement et l’accès aux ressources. Deuxièmement, une crise géopolitique avec des guerres qui, hélas, prolifèrent, engendrant atrocités et dévastations, et mettant en danger ce qui reste du système multilatéral de coopération et du droit international humanitaire qui fut, avec toutes ses limites, une importante réalisation positive construite sur les tragédies de la Seconde Guerre mondiale et de l’Holocauste.
Les ODD sont devenus un acronyme vide de sens

Une nouvelle ère de solidarité interreligieuse
Bien qu’ils ne soient pas aussi bruyants et qu’ils sont parfois difficiles à évaluer, les efforts des chefs religieux et des communautés pour répondre à la violence et aux tensions politiques par le dialogue et la collaboration interreligieuse ont connu un essor remarquable. Un moment particulièrement fort et déterminant de cette nouvelle tendance a été le document historique sur la fraternité humaine, cosigné par le pape François et le grand imam d’Al-Azhar, Ahmed Al-Tayeb, en 2019 à Abu-Dhabi.
Avec ce document, les deux chefs religieux ont envoyé un message fort en faveur de l’inclusion politique et contre la discrimination des minorités, en particulier dans les pays où l’islam ou le christianisme représentent la religion majoritaire : si nous sommes tous frères, alors nous avons tous besoin de reconnaissance et de respect, y compris le droit de participer à la vie publique en tant que citoyens à part entière, incluant les droits, les libertés et aussi les responsabilités. Je dirais même que ces récits religieux de solidarité interreligieuse et de fraternité humaine portent aujourd’hui les espoirs mondiaux d’unité et d’universalisme plus que tout autre discours ou récit politique séculier.
Le dialogue interreligieux pour consolider la paix
Le dialogue interreligieux peut revêtir diverses formes d’interactions, allant des échanges théologiques à la socialisation quotidienne et à l’action sociale commune de différents individus religieux sur des questions spécifiques. Parmi les formes de dialogue interreligieux les plus prometteuses en termes de construction de sociétés pacifiques et inclusives figurent celles qui reconnaissent et respectent les différences des participants – bien au-delà de la platitude d’un vague dénominateur commun minimal – et s’efforcent d’impliquer des acteurs religieux « difficiles » au-delà des « suspects habituels » (par exemple les acteurs religieux qui participent aux mouvements interreligieux depuis des dizaines d’années). Il est également intéressant de noter que le dialogue et la collaboration interreligieuse représentent sans doute l’un des domaines les plus dynamiques et les plus prometteurs de la participation active des citoyens et d’un nouveau leadership sociopolitique – en particulier parmi les jeunes et les femmes – dans le contexte d’un scénario contemporain de crise démocratique marqué par le désengagement, le désenchantement et le rejet de la responsabilité publique.
Aujourd’hui, même les décideurs politiques du monde entier reconnaissent de plus en plus que la collaboration et le dialogue interreligieux peuvent faire partie de la solution et constituer une ressource stratégique pour la consolidation de la paix, le renforcement des droits de l’homme et la promotion du développement durable. Il existe un énorme réservoir inexploré de ressources et d’arguments religieux, au sein des traditions religieuses et entre elles, avec lequel on peut construire une société plus juste, plus durable sur le plan environnemental et plus inclusive.
Encourager des partenariats novateurs et post-séculiers
Selon moi, nous devons trouver des moyens d’amplifier cette nouvelle dynamique interreligieuse par le biais de partenariats novateurs entre les gouvernements et les religions, afin de créer des sociétés plus inclusives et plus pacifiques à de multiples niveaux. Il faut pour cela reconnaître cette nouvelle ère d’activisme interreligieux, d’espoir et d’unité ; réfléchir davantage à la manière dont les gouvernements et les organisations internationales devraient y répondre afin d’amplifier ses effets sociaux et politiques po sitifs ; rester ouvert à l’apprentissage et à de véritables dialogues inter et post-séculiers afin d’élargir l’imaginaire politique ; et créer de nouvelles innovations pratiques pour répondre aux défis politiques mondiaux.
Fabio PETITO
Professeur de religion et d’affaires internationales, Université du Sussex
Un article publié dans le Journal de la paix 566 consacré au dialogu interreligieux, à commander ici.