Depuis le 4 février 2025, le M23 a déclaré un « cessez-le-feu » humanitaire, avant la rencontre entre les présidents congolais Félix Tshisekedi et rwandais Paul Kagame du 8 et 9 février en Tanzanie.
Retrouvons ici le témoignage du père Dieudonné Musanganya, directeur de l’Institut Supérieur de paix et de réconciliation (ISPR) dans la sous-région des grands lacs. Il nous a accordé une interview le 6 février, à l’occasion de sa venue en Europe pour plaider la cause de son pays et de la paix.
Le rapport des acteurs de terrain que vous nous avez communiqué, nous révèle une première évaluation de l’ampleur des dégâts immenses causés par la guerre dans Goma, une ville de 2 millions d’habitants proche de la frontière rwandaise. Les hôpitaux sont débordés, la population vit comme dans une prison à ciel ouvert car elle ne peut ni se déplacer ni s’enfuir. Tout est contrôlé et la population est prise en otage.
Père Dieudonné Musanganya, vous êtes arrivé en Europe le 28 janvier dernier : quel est le plaidoyer que vous portez et auprès de qui ?
Je suis venu pour la mise en œuvre du protocole de collaboration entre l’Association des Conférences Episcopales de l’Afriques Centrale (ACEAC) et la FIUC (Fédération Internationale des Universités Catholiques), un protocole qui a été signé le 04 octobre 2024 à la demande et au profit de l’ISPR soucieux d’avoir de nombreux partenaires qui appuient ses efforts, ses actions et ses projets.
Vous vous rendez à Bruxelles : qui allez-vous rencontrer ?
Le 14 février, nous avons planifié deux rencontres très importantes. La première est avec Mgr Luc Terlinden, archevêque de Malines-Bruxelles, pour lui rendre compte du point de vue de l’église locale sur la situation sociale, politique et économique de la région des Grands Lacs. Cette guerre sans fin que vivent les populations congolaises habitant le Nord et le Sud-Kivu. Puis j’ai rendez-vous à Liège pour participer à un ciné-débat autour du film L’empire du silence du cinéaste belge Thierry Michel, qui est projeté par la commission Justice et Paix de Belgique. Ce film montre et raconte le désastre – et ses millions de morts – provoqué par les pouvoirs autoritaires qui commanditent des guerres avec leurs partenaires cachés. La conséquence en est tout ce qui arrive à l’est du Congo : une violence importée du Rwanda à laquelle nous n’avons participé ni de près, ni de loin.
Nous avons accueilli les personnes qui fuient la guerre civile au Rwanda. Puis le régime de Kagamé a déplacé le champ de bataille du Rwanda au Congo et cela dure depuis 30 ans.
Que préconisez-vous de la part de l’Eglise pour construire la paix ? Pouvons-nous encore espérer ?
Oui, il y a une espérance. Nous nous appuyons sur la conviction que la paix est une œuvre de la justice. Il faut que justice soit faite au peuple congolais qui est victime de la barbarie du régime politique de Paul Kagamé au Rwanda depuis trois décennies. Pour obtenir justice, il faut d’abord que ceux qui lui apportent leur soutien diplomatique et matériel réévaluent son utilisation des fonds qu’ils lui accordent. Je pense ici à certains accords que l’UE a signé avec le Rwanda pour la livraison de matières premières (or, cobalt, etc) que le Rwanda ne peut pas fournir puisque son sol n’en possède pas.
Comme le président Kagamé tient à tout prix à se donner une image de puissance économique, C’est par des pillages des ressources naturelles et des tueries de masse à l’Est de la RDC que le Rwanda de Paul Kagame obtient ces minerais stratégiques qu’ils vend aux multinationales occidentales depuis 30 ans, à travers les rebellions fabriquées de toute pièce au Kivu, précisément en 1996 (par l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL)), en 1998 (par le Rassemblement congolais pour la démocratie (RDC) ), 2004 (par Laurent Nkunda et Jules Mutebusi), 2009 (par le Congrès national
pour la défense du peuple (CNDP)), 2012 et 2021 (par le mouvement du 23 mars (M23)), qui vient de causer un nouveau désastre humanitaire à Goma avec l’appui des forces armées rwandaises qui ont massacré plus de 6.000 personnes et fait des milliers de blessés par les bombes jetées sur la ville. Cette même rébellion du M23 poursuit sa folie meurtrière vers le Sud-Kivu afin de mettre la ville de Bukavu à feu et à sang.
Il faut abroger ces accords qui favorisent ce banditisme inacceptable.
Que ceux qui veulent ces matières premières, comme l’UE, viennent en parler directement au gouvernement congolais, qui en est détenteur; et ils pourront y accéder.
Pourquoi ne le font-ils pas ?
L’UE pense que le gouvernement congolais fait la part belle à la Chine, omniprésente. Mais, La Chine a offert des infrastructures au Congo-Kinshasa (routes, bâtiments publics, stades,…) et prône des accords gagnant-gagnant, contrairement aux partenaires occidentaux qui sont plus des donneurs de leçons que de véritables partenaires. Il faudrait mettre en place une diplomatie pour la coopération et donner du travail aux congolais.
Il serait aussi souhaitable que les dirigeants occidentaux cessent leur politique du « deux poids, deux mesures », dans leur traitement des problèmes du Congo RDC. Notre pays connaît depuis 30 ans une guerre importée du Rwanda aux conséquences incalculables et dont le bilan humain est un véritable génocide: 12 millions de morts, bilan le plus lourd des tragédies vécues après la Deuxième Guerre mondiale. Mais, tous ces événements ne sont pas médiatisés par la presse occidentale. On dirait que la les populations congolaises périssent dans l’indifférence totale du monde entier pourtant intéressé par les ressources naturelles de la RDC. Qu’on cesse de négliger cette situation. Nous, nous ne faisons la guerre à personne. Quand il y a des rapports onusiens, comme le rapport Mapping qui a révélé les tueries, les viols et les destructions, tout a été mis sous le tapis.
Ils s’alarment pour l’Ukraine, ils dénoncent, mais quand il s’agit du Congo, on ne dit rien
Ils s’alarment pour l’Ukraine et dénoncent la situation, mais quand il s’agit du Congo, rien n’est dit. On persécute, à l’exemple de Charles Onana du Cameroun (auteur franco-camerounais qui été reconnu coupable le 9 décembre 2024 par la France de complicité de contestation de crime contre l’humanité dans le génocide des Tutsis au Rwanda dans son livre paru en 2019 : Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise. Quand les archives parlent.) qui a remis en question la politique de Kagamé. Nous attendons de l’UE une sorte de Plan Marshall pour le Congo. Nous avons la quantité d’eau douce dont le monde a besoin, nous avons une forêt équatoriale qui est le 2e poumon de la planète. Nous avons un sol avec 80 millions d’hectares de terres arables et fertiles, si elles sont exploitées. Nous pourrions produire de la nourriture pour tous les Congolais et d’autres peuples affamés. Nous avons des ressources naturelles stratégiques, des ressources humaines importantes. Si tout cela était bien géré avec la collaboration des partenaires occidentaux, une partie de l’Afrique pourrait profiter de toutes ces opportunités économiques. Mais au lieu de ça, on préfère financer la barbarie du Rwanda et perpétrer un génocide qui ne dit pas son nom au Congo.
Les injustices ont franchi un seuil intolérable. Si notre voix n’est pas entendue par l’UE, nous irons chercher ailleurs ceux qui nous viendront en aide.
Comment trouvez-vous la force pour garder l’espérance ?
Nous trouvons cette force dans l’Evangile parce que Jésus nous a laissé le commandement de l’amour. Nous estimons aussi qu’au-delà de toutes ces situations malheureuses, il y a des personnes de bonne volonté qui souhaitent nous manifester un peu de fraternité. Penser à elles, nous encourage. En premier lieu, nous nous adressons à ceux qui nous maltraitent et en deuxième lieu à ceux qui peuvent nous soutenir. Nous continuons à pleurer nos morts, mais nous voulons aller au-delà de nos souffrances. Nous voulons écrire une autre histoire que celles des larmes et de la tristesse. Nous savons qu’un monde différent est possible, sans barbarie, sans injustices, où la fraternité et l’amitié ne sont pas des coquilles vides. Nous ne prônons pas la vengeance. Nous voulons seulement que justice nous soit faite.
Bérengère Savélieff
Face à l’urgence, un sommet des pays des États d’Afrique de l’Est (EAC)
Les dirigeants des 24 pays d’Afrique australe et de l’Est se sont réunis en urgence ce samedi 8 février en Tanzanie. Ils ont réaffirmé leur soutien à la République démocratique du Congo (RDC) dont l’intégrité territoriale est mise en brèche depuis les débuts du conflit en 2021. Les pays voisins de la RDC redoutent un embrasement régional, faute de solution diplomatique rapide. Le sommet a réclamé un « cessez-le-feu immédiat et inconditionnel » entre l’armée congolaise et le groupe armé M23 et ses alliés rwandais, qui ne cessent de gagner du terrain. Les deux présidents du Congo et du Rwanda se sont entretenus à cette occasion, sans effet notoire pour l’instant.
l’Institut Supérieur de Paix et de Réconciliation (ISPR)
L’ISPR a été créé en 2011 par les évêques de l’Association des Conférences Episcopales de l’Afrique Centrale (ACEAC) dont le siège est a Kinshasa (RDC) et regroupe les Conférences Episcopales du Burundi (Cecab), de la RDCongo (Cenco) et du Rwanda (Cepr). L’ISPR recherche des partenaires institutionnels pour soutenir ses projets axés sur la paix et le développement dans la Sous-région des Grands Lacs.
Au sein de l’Université catholique de Bukavu (UCB), l’institut a pour mission d’analyser les causes des conflits qui ravagent la Sous-région des Grands Lacs depuis les années 1990, qui a conduit à un génocide au Rwanda (1994), à des milliers de morts au Burundi, à un génocide en cours depuis 1996 à nos jours en RDC. Il veut analyser et proposer des voies d’issue et permettre aux évêques de la sous-région de faire un plaidoyer, au niveau des diocèses, au niveau national, de celui de l’UA et de l’UE.
L’ISPR organise une formation académique de niveau Master en Paix et Réconciliation depuis 2017 à l’Université catholique de Bukavu, et une formation continue, destinée à de groupes cibles.