La paix est une construction, et en République Démocratique du Congo (RDC), elle est devenue un chantier considérable depuis 1994. Il y faut une volonté, des convictions et une connaissance fine de la culture locale. Pascal Mugaruka, fondateur et directeur d’Africa Reconciled, coche toutes ces cases plus une : la vocation. Engagé pour la réconciliation avec une petite équipe de dix personnes et des centaines de bénévoles, il développe un processus de justice transitionnelle dans la zone la plus touchée de son pays par les conflits. Récit.
Subir les conflits et laisser la haine et le désir de vengeance s’installer est le lot commun de toute victime de violences et d’injustice. Pascal Mugaruka Chinyabuguma en a fait intimement l’expérience en tant que citoyen d’un pays laminé par les exactions et conflits successifs, particulièrement depuis 1994, date du génocide au Rwanda. En effet, suite à cet événement dramatique, son pays, la République Démocratique du Congo (RDC ou « Congo Kinshasa » , d’une superficie équivalent 4,2 fois celle de la France) a vu de nombreux réfugiés s’installer et des groupes armés se former au détriment des populations locales abandonnées à leur sort par un gouvernement défaillant. Dans ce chaos, violences et crimes contre l’humanité ont été perpétrés, dont certains sont encore en cours d’instruction par la cour pénale internationale.
De l’expérience de vie à l’engagement citoyen
Suite à des menaces de mort, Pascal Mugaruka a dû fuir enfant son village du sud Kivu avec une grande partie de sa famille. Ce fut un véritable déchirement, un déracinement et une perte d’identité nourrissant chez lui des idées de vengeance. Après leur arrivée dans la grande ville de Goma, Pascal reprend le chemin de l’école et étudie la pédagogie puis la sociologie jusqu’au jour où… un verset biblique le renverse et bouleverse sa compréhension des choses et sa vie entière. Lui qui voulait devenir militaire pour aller venger son village entend « Dieu nous a réconciliés avec lui par le Christ, et il nous a donné le ministère de la réconciliation. » (2 Corinthiens 5, 18-20). Un appel clair et net qui l’amène à comprendre que pour construire un futur désirable, il faut s’y prendre autrement. Fort de cette révélation, il fonde à partir de 2011 l’association Africa Reconciled avec des amis dans la région du Nord-Kivu. Une page se tourne et une nouvelle histoire s’écrit.
Réconciliation : une stratégie à tiroirs
C’est en se spécialisant dans la sociologie des conflits qu’il prend conscience que beaucoup de jeunes sont, comme lui, victimes des conflits en RDC. Ayant perdu toute perspective d’avenir, ils sont blessés et abîmés dans leur identité. Dans ce pays de 110 millions d’habitants dont plus de 12 millions ont perdu la vie ces dernières années, il fallait trouver un processus pour faire face aux conséquences des graves violations des droits humains et trouver comment assurer un avenir juste et paisible au sein des communautés. Agir pour reconstruire l’unité, trouver des chemins de réconciliation et transformer la violence en non-violence active.
Dès lors, Pascal et ses amis créent des « clubs de paix » pour les jeunes avec notamment un programme d’accueil réciproque. Les parents ne comprennent pas cette démarche et refusent que leur enfant en invite un ou une autre dont « on sait » que les parents ont mal agi… Pour lutter contre cette défiance systématique, souvent basée sur des rumeurs, l’association décide d’approcher les mamans, « ces sacrées pourvoyeuses des foyers ». En leur proposant un accompagnement économique collectif au sein de groupes solidaires pour accroître leurs revenus, l’association les convertit petit à petit à leur démarche d’unité jusqu’à s’en faire de précieuses alliées. En effet, une fois compris les enjeux citoyens des actions d’Africa Reconciled, ces femmes sont devenues d’efficaces influenceuses de la paix locale.
Depuis, l’association a multiplié ses modalités d’action et touche un grand nombre de personnes, entre autres via son programme de justice transitionnelle.
La justice transitionnelle : les piliers de l’action
La justice transitionnelle vise à construire une paix durable par la réconciliation du fait d’une responsabilité tant individuelle que collective et nationale. C’est un ensemble de processus judiciaire et non judiciaire, formel et informel, qui repose sur cinq grands piliers : la recherche de la vérité sur les faits – la justice par la reconnaissance des victimes et de leurs bourreaux – la réparation des victimes, qui réunies en collectif ont plus de chance de se faire entendre – la garantie de non-répétition des violences en acceptant d’interrompre le cycle destructeur de la vengeance – et la construction du futur et de la mémoire collective avec la conception de mémoriaux utilisant des symboles marquant les consciences pour se souvenir des morts et des autres pertes.
Sur le terrain, Africa Reconciled organise des dialogues communautaires dans lesquels toutes les couches sociales des différentes communautés et ethnies sont également représentées pour mettre au jour la vérité des faits et distinguer victimes et bourreaux. Dans ce cadre, le bourreau peut présenter ses excuses, qui, si elles sont acceptées par la victime, peuvent être la première étape d’une réconciliation dans un cadre communautaire non judiciaire.
Des dialogues intergénérationnels organisés au sein des communautés permettent aussi de « se souvenir » et de transmettre cette mémoire. Cet espace spécifique permet aux victimes et aux bourreaux d’échanger ; et d’exprimer – par des pratiques locales et informelles – les remords et le deuil.
Communication et plaidoyer
L’équipe d’Africa Reconciled travaille dans les régions les plus touchées par les conflits en partenariat avec plus d’une vingtaine d’organisations locales de victimes. Les actions en faveur de la justice transitionnelle sont soutenues par des campagnes massives de sensibilisation communautaires sur de multiples supports de communication qui touchent plus de 1,7 million de personnes. Pour faire avancer les droits des victimes, l’association fait aussi du plaidoyer au niveau local et international. Un de leurs principal défi est d’ailleurs l’adoption et la mise en œuvre d’une politique nationale de justice transitionnelle par le gouvernement congolais.
Depuis que le président Félix Tshisekedi s’est ouvert à cette idée de justice transitionnelle après le Conseil des Ministres du 07 août 2020 à Kinshasa, le pays se dote d’outils nationaux pour reconstruire son unité.
Par exemple, un comité scientifique chargé d’élaborer une politique nationale de justice transitionnelle a été mis sur pied fin 2022 qui, avec l’appui du Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme en RDC (BCNUDH), a présenté son rapport le 10 janvier 2023 à Kinshasa. Au même moment, la loi sur les réparations a été promulguée, et le Fonds National des Réparations des Victimes de violences sexuelles liées aux conflits et d’autres crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (FONAREV), et la Commission Interinstitutionnelle d’Aide aux Victimes et d’Appui aux Réformes (CIAVAR) ont été fondés. Le Ministère des droits humains a aussi créé en 2024 un Programme National de Justice Transitionnelle (PNJT).
Malgré tout cela, des obstacles persistent, notamment en raison de la présence de bourreaux dans les institutions gouvernementales, freinant les procédures judiciaires. Les consultations populaires indispensables à l’avancée de ce processus national ont été organisées dans seulement cinq régions. Africa Reconciled milite donc activement pour que les consultations des vingt et une autres régions soient rapidement mises en œuvre afin que justice soit faite et qu’un avenir durable puisse enfin voir le jour en République Démocratique du Congo.
Propos recueillis par Marine de Vanssay
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