Liban : quelle place pour la non-violence aujourd’hui

Les bombes pleuvent sur le Liban. Une nouvelle guerre avec Israël envahit la plupart des régions du pays avec déjà plus d’un million de déplacés. Dans ce contexte, Ogarit Younan[1], militante et fondatrice de l’université pour la non-violence et les droits humains (AUNOHR), nous partage son point de vue sur la situation.

[1] Ogarit Younan et Walid SLAYBI ont été lauréats du Prix Gandhi International 2022

Ogarit Younan; dans ce contexte conflictuel, quelle place pour la Non-violence ?

Malheureusement, le Liban a connu plusieurs moments sombres dans son histoire, et ce qui nous arrive actuellement n’est pas un conflit circonstanciel et limité. C’est une guerre qui reprend en diverses formes, depuis 1948, liée à l’occupation par Israël de territoires en premier lieu palestiniens et libanais. Différentes régions du pays sont bombardées, avec des centaines de civils tués, des milliers de blessés, des dizaines de disparus sous les décombres, et plus d’un million de déplacés. Ce n’est pas une guerre contre un groupe politique, le Hezbollah, c’est un conflit historique et global qui concerne la région y compris le Liban.

Cette tragédie a atteint des niveaux de cruauté inimaginables. La demande d’un « cessez-le-feu » est devenue vide de sens. Si cette guerre prendra fin d’une manière ou d’une autre, l’injustice, elle, perdurera. La haine persistera et s’intensifiera, suscitant la vengeance chez les générations à venir, engloutissant davantage encore le monde entier dans la violence. À mon avis, nous devons saisir l’instant pour que d’un péril imminent naisse un salut d’humanisme. La politique est à la fois éthique et efficacité. Plus l’efficacité s’éloigne de l’éthique, plus elle bascule dans la violence et commence à la justifier. Et voilà que nous sommes aujourd’hui dans une violence de tous bords.

Oui à la résistance, non à la violence

Les conflits qui enflamment plusieurs régions du monde sont le fait d’une perte d’éthique généralisée au service d’intérêts économiques et politiques de cupidité et d’autoritarisme. Cela fait plus de quarante ans que je milite pour la Non-violence. C’est une culture de valeurs et une lutte stratégique. Militer c’est se préparer pour agir. Il faut une stratégie d’action que Gandhi appelait « résistance non-violente ». Notre slogan, lancé par Walid SLAYBI, le penseur non-violent du monde arabe, fut : “oui à la résistance, non à la violence”. Donc, quelle place pour la non-violence ? Plusieurs nous posent cette question, ce à quoi nous retournons la question suivante : La violence, que nous a-t-elle donné ? Ce n’est que par la non-violence que l’espoir pourra revenir. Or, mener une lutte non-violente ne se limite nulle part au refus de la violence ou aux actions partielles ou réactions aléatoires, même de bonnes intentions. Il nous faut nous préparer, nous organiser et surtout innover pour trouver des moyens d’action efficaces pour la paix et la justice. Les exemples ne manquent pas dans l’histoire. À nous de les découvrir pour en apprendre. Pour ma part, en octobre dernier, lors de la première semaine de la guerre, j’ai diffusé un texte stratégique sur « Gaza » qui fut chaleureusement accueilli et adopté par des individus et groupes des deux parties du conflit et dans différents coins du monde. 

Quels sont vos engagements pour la paix ?

Notre engagement est une histoire de vie entamée depuis 1983, au cœur même de la guerre civile au Liban (1975-1990), instituant un travail pionnier et des acquis énormes auprès des jeunes, des enseignants, des écoles, des ouvriers, des personnes porteuses de handicap et des femmes, pour l’abolition de la peine de mort, le changement des lois confessionnelles, et auprès des communautés pour la réconciliation, et bien sûr, les actions contre la guerre…

C’était un choix de vie pour nous. C’est pourquoi après quarante années de militantisme avec mon compagnon Walid SLAYBI (qui s’en est allé l’année dernière), nous avons fondé en 2009 l’Université Académique pour la Non-Violence et les Droits Humains (AUNOHR https://aunohr.edu.lb/en/index.php), officiellement reconnue en 2014. Unique du genre au Liban et même au niveau du monde, ses objectifs se résument par ces deux volets : institutionnaliser un professionnalisme académique dans des spécialités multiples de la non-violence, et un changement sociétal constructif pour la paix.

Ogarit YOUNAN
« Pense aux autres »

Un poème de Mahmoud Darwich 

Quand tu prépares ton petit-déjeuner, pense aux autres.
(N’oublie pas le grain aux colombes)

Quand tu mènes tes guerres, pense aux autres.
(N’oublie pas ceux qui réclament la paix)

Quand tu règles la facture d’eau, pense aux autres.
(Qui tètent les nuages)

Quand tu rentres à la maison, ta maison, pense aux autres.
(N’oublie pas le peuple des tentes)

Quand tu comptes les étoiles pour dormir, pense aux autres.
(Certains n’ont pas le loisir de rêver)

Quand tu te libères par la métonymie, pense aux autres.
(Qui ont perdu le droit à la parole)

Quand tu penses aux autres lointains, pense à toi.
(Dis-toi : “Que ne suis-je une bougie dans le noir”)

Cette initiative est aussi à l’origine de l’Association Libanaise pour les Droits Civils (The Lebanese Association for Civil Rights – LACR), que nous avons fondée en 2003, une des principales organisations des Droits de l’Homme au Liban. Grâce à l’université et à l’association, nous diffusons cette culture à tous les niveaux de la société civile. La Non-violence a de la force, ce ne sont pas que des mots.

Comment pouvons-nous agir depuis la France ?

J’apprécie profondément notre partenariat avec PAX Christi International et France entamé depuis les années 90. Également, nombreux sont nos partenaires non-violents et pour le développement en France. C’est ce qui compte pour nous, l’amitié et le partenariat. Comment agir en France ou ailleurs en Europe par exemple, sans donner de ‘leçons’ ? La première des choses à mon avis est de rester attaché à son éthique humaniste, et par conséquent, attaché à la justice en faveur des opprimés. Et là, si l’opprimé utilise la violence pour se libérer et revendiquer ses droits, nous ne justifions absolument aucune violence sans pour autant assimiler la violence de l’oppresseur à la violence des opprimés. Dans l’injustice, l’oppresseur a été premier et à cet égard, ils ne sont pas comparables. Être en faveur de la paix, c’est être en faveur de la justice; et la paix est indivisible.

Sur un deuxième plan, il est primordial de s’informer objectivement pour comprendre ce qui se joue. Les choses sont mêlées, complexes et il convient de chercher la vérité. C’est de l’ordre de notre responsabilité personnelle. Par exemple, en ne se suffisant pas de ce qui est diffusé dans les médias assermentés ; il y a heureusement des médias libres, tels par exemple Pressenza (https://www.pressenza.com/fr/ ), l’agence alternative italienne pour la non-violence et la paix, avec qui notre université a signé une convention de coopération. Un article sur ce sujet y a été publié le 2 octobre. C’est en plusieurs langues et depuis peu en arabe aussi.

Le 2 octobre vient de passer. C’est cette date qui a été choisie pour être la journée mondiale de la non-violence en mémoire de Gandhi dont c’est le jour anniversaire. Depuis 2016, c’est aussi devenu la Journée nationale libanaise pour la non-violence à l’initiative de notre université. C’est un jour spécial pour faire rayonner cet esprit. Souvenez-vous en.

Aujourd’hui, quelles solidarités se mettent en place ?

Localement, la solidarité s’organise spontanément entre voisins et membres de communautés mais nous manquons de tout. Les besoins sont énormes. Associations, individus, organisations, chacun essaie de faire quelque chose. Mais face à l’urgence, nous avons besoin de liquidités pour pouvoir acquérir sur place ce qui nous est le plus nécessaire. En ce sens, notre association a lancé un appel aux dons international.

Propos recueillis par Marine de Vanssay

APPEL AUX DONS

La situation du Liban est désespérée. Ce pays, déjà en faillite où près de 70% de sa population vit en-dessous du seuil de pauvreté, est en proie à des bombardements intensifs. On dénombre plus d’un million de déplacés venant du Sud-Liban, de la Békaa et des banlieues de Beyrouth, qui n’ont nulle part où se réfugier. Des écoles en hébergent une partie, mais beaucoup d’entre eux vivent dans la rue. Nous sommes dans l’urgence.

Pour faire face à toutes les nécessités les plus urgentes, l’Association Libanaise pour les Droits Civils (LACR) organise une collecte. Votre aide nous sera très précieuse. L’humanité nous unit partout dans le monde. Je vous en remercie sincèrement.🙏

Hala BOU ALI, coordinatrice

Contact : info@houkoukmadania.org; university@aunohr.edu.lb; hala.abouali@chaml.org

Pour les dons : contacter Pax Christi France accueil@paxchristi.cef.fr

Peut-être que la culture de la non-violence pourrait à la fin pénétrer ces épais nuages sombres qui nous assiègent dans une prison d’anxiété, de violence et d’absurdité. Afin de rétablir la communication avec un soleil qui ne désespère pas de nous saluer chaque matin…”

Walid SLAYBI, son premier message à AUNOHR en 2009.

L’Association Libanaise pour les Droits Civils (The Lebanese Association for Civil Rights – LACR)

L’Association Libanaise pour les Droits Civils (The Lebanese Association for Civil Rights – LACR) est une des principales organisations des Droits de l’Homme au Liban, fondée en 2003 comme continuité d’une action vécue depuis 1983, au cœur de la guerre civile, par deux penseurs et militants, Walid SLAYBI et Ogarit YOUNAN, lauréats du Prix Gandhi International 2022.

Reconnue pour ses expertises et innovations, en temps de conflits et de paix, la LACR est active auprès des jeunes, ouvriers, enseignants, handicapés, femmes, auprès des écoles publiques et privées, des communautés pour le dialogue et la réconciliation, et pour le changement des lois. Ainsi, elle a fondé plusieurs initiatives et mouvements, dont : Maisons Non-Violentes dans les villages (BILAD, signifiant le Pays) ; Jeunes Citoyens Non-confessionnels Non-violents (CHAML ; mouvement d’action politique) ; Les Mères Non-Violentes (UMAHAT, pour la paix civile et le refus de la guerre) ; Le Centre de Formation continue pour toutes catégories (YOUNAN et SLAYBI étant les pionniers de la formation interactive au Liban depuis près de 40 ans) ; La Campagne Nationale pour l’abolition de la peine de mort au Liban depuis 1997 ; LACR est membre de la Coalition mondiale contre la peine de mort (WCADP) et elle  a reçu le Prix de la république Française des Droits de l’Homme en 2005 ; La Campagne Nationale pour le mariage civil au Liban depuis 1998.

En 2014, les fondateurs de LACR ont réussi à concrétiser leur rêve, en créant l’Université Académique pour la Non-Violence et les Droits Humains (AUNOHR, niveau Master et DU) unique de son genre au Liban et dans le monde.