Répression en Russie : « il est interdit d’utiliser les mots paix et guerre »

Déjà soumise à une importante répression, la société civile russe est mise à l’arrêt depuis le début de la guerre en Ukraine. Les autorités ont adopté de nouvelles lois liberticides et les arrestations se multiplient. Entretien avec Olga*, membre d’une organisation russe de défense des Droits Humains.

Quelle répercussion a la guerre en Ukraine sur l’action de la société civile russe ? 

La répression est plus sévère, plus brutale et plus punitive. Les autorités utilisent le prétexte de la pandémie pour interdire les rassemblements et les manifestations. Des gens ont été arrêtés alors même qu’ils étaient seuls dans la rue et brandissaient une feuille blanche, sans inscription. Certains ont été interpellés alors qu’ils n’avaient rien dans les mains, simplement parce qu’ils faisaient semblant de tenir une pancarte. D’autres, encore, ont été interpellés car ils portaient des vêtements aux couleurs du drapeau ukrainien. De la même manière, il est interdit d’utiliser les mots « paix » et « guerre ». Il n’y a pas de décision officielle mais on ne peut plus employer ou écrire ces mots. Un homme a, par exemple, été arrêté car il tenait le livre de Léon Tolstoï Guerre et paix.

Dans ces conditions, c’est beaucoup plus difficile d’agir pour la société civile, c’est même quasiment impossible. Beaucoup de nouvelles lois ont été adoptées pour empêcher toute activité. Ces lois font peser la menace d’amendes, d’arrestation ou d’emprisonnement. Beaucoup de personnes, des jeunes gens, ont été arrêtées et détenues. Heureusement, il y a une grande solidarité et les gens s’organisent rapidement pour collecter l’argent et payer les amendes. Les personnes arrêtées encourent de nombreuses années de prison, dix ou quinze ans, pour la diffusion de soi-disant « fake-news » sur l’armée russe. Malgré cela, beaucoup de jeunes gens, mais pas uniquement, trouvent des moyens très créatifs de résister à la guerre en Ukraine. 

La population russe peut-elle avoir accès à d’autres informations que celles délivrées par les canaux officiels ? 

Plus de cent journalistes des médias indépendants ont quitté le pays, ils continuent de travailler, analyser la situation et transmettre les nouvelles via YouTube, notamment. 

Des journalistes de Novaïa Gazeta ont installé leur rédaction à l’étranger et font un très bon travail. Les gens qui veulent accéder à des informations en dehors des canaux officiels peuvent le faire s’ils ont internet. Cela ne pose pas de problème pour les jeunes gens, et pour ceux de 30 à 50 ans mais c’est plus difficile pour les personnes qui ont toujours « un ancien style de vie » et qui ne sont pas habituées à s’informer par internet. Si elles ne regardent que la télévision, c’est impossible d’entendre un autre point de vue ou des informations alternatives. 

Mais dans beaucoup de cas, le problème n’est pas l’accès à l’information mais l’envie d’y accéder et de connaître la réalité de ce qui se passe. Beaucoup de personnes ne souhaitent pas connaître la vérité, c’est plus facile pour elles de ne pas savoir. 

Parvenez vous à maintenir des liens avec des organisations étrangères ? 

Je reste en contact avec des organisations amies à l’étranger, mais je ne le fais pas de manière publique. Je ne veux pas le faire officiellement car on ne sait jamais si on va être désigné comme « agent étranger », d’autant que la répression va être de plus en plus sévère. 

Quel regard portez-vous sur les sanctions prises contre la Russie, en particulier par les pays européens ? Comment la population russe réagit-elle ? 

Il doit y avoir des sanctions, mais certaines d’entre elles ne produiront pas l’effet escompté car elles n’affecteront ni le comportement ni les décisions de Vladimir Poutine ; par contre, elles auront des conséquences très dures sur la population. Il ne faut pas attendre de ces sanctions qu’elles conduisent à des protestations massives en Russie. Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas d’accord avec cette guerre et qui résistent de différentes manières, mais le gros de la population ne se mobilisera pas. C’est ce qui s’est passé sous l’Allemagne nazie : il n’y a eu aucun soulèvement populaire d’ampleur. En Russie, cela n’arrivera pas non plus : cela paraît facile de demander aux Russes de se révolter depuis l’étranger, mais j’invite les personnes qui attendent de la population russe qu’elle se soulève à venir et à essayer de protester ici ! Tout le monde n’est pas prêt à sacrifier cinq, dix ou quinze ans de sa vie en prison. La sévérité des sanctions peut même produire l’effet inverse et pousser des gens à soutenir l’action de Vladimir Poutine qui leur explique que nous sommes entourés d’ennemis. Et les gens le croient car ils constatent l’impact des sanctions prises par les pays étrangers sur leur vie. Des enfants avec des maladies rares ou des maladies génétiques vont mourir parce qu’ils ne pourront plus accéder aux traitements ou aux technologies nécessaires.

Je pense que la bonne décision est de ne plus acheter de gaz ni de pétrole russe et de ne plus vendre d’équipements militaires, mais trop de sanctions sont préjudiciables à la population.

Qu’espérez-vous du futur ? 

Je ne vois aucun futur. J’ai 57 ans et je ne vois pas d’avenir. Tout ce que j’ai eu dans ma vie appartient au passé. Récemment, j’ai réfléchi à l’histoire allemande et à la nôtre. Je crois que nous avons en commun d’avoir vécu ou de vivre une période tragique. Aujourd’hui, nous la traversons ; ensuite, nous devrons accepter la vérité, nous devrons tous accepter ce qu’il s’est passé pour pouvoir pardonner et se réconcilier. Nous devrons passer par cette étape comme les Allemands l’ont fait après la Seconde Guerre mondiale. Si nous avons ce désir et cette volonté ; alors, dans plusieurs années, nous pourrons reconstruire un futur. Si on ne le fait pas ; alors nous sommes perdus en tant que pays. 

Je me demande en permanence comment cette guerre a pu avoir lieu. Je repense aussi beaucoup à la guerre en Tchétchénie. Quand la société civile russe a alerté les responsables européens de ce qui s’y passait, beaucoup nous ont dit « c’est votre affaire ». Pour nous qui étions allés en Tchétchénie, il n’y a rien de nouveau dans ce qui s’est passé à Bucha, à Irpin et ailleurs en Ukraine. Je m’interroge beaucoup sur ce « deux poids deux mesures » : la vie ne semble pas avoir la même valeur en fonction des pays où l’on vit, la vie des Tchétchènes avait moins de valeur… Pourtant, si on avait tout fait pour arrêter la guerre en Tchétchénie à l’époque, il n’y aurait pas de guerre en Ukraine aujourd’hui. Il fallait arrêter Poutine à ce moment-là. Là encore, on ne pouvait pas le faire de l’intérieur, et trop peu de responsables européens se sont inquiétés des violations des Droits Humains en Tchétchénie. C’est une leçon importante à retenir. 

*le prénom a été modifié