Le fait est suffisamment rare pour être mentionné : huit évêques (dont un cardinal) de quatre pays différents (la France, l’Allemagne, le Luxembourg et la Belgique) mais proches géographiquement co-signent une lettre pastorale pour les élections du 9 juin – à savoir les élections du Parlement européen, commun, inutile de le rappeler, aux quatre Etats en question et aux 23 autres de l’Union européenne. Ils se sentent, en tant que pasteurs et européens, partie-prenante de cette aventure qu’est l’Europe unie qui nous rassemble, sous d’innombrables formes et institutions, depuis le 9 mai 1950, jour de la déclaration Schuman.
Pourquoi faire l’Europe
Car les raisons de faire l’Europe, pressantes en 1950, sont toujours actuelles et urgentes : la paix, l’accueil de l’étranger, l’attention aux pauvres, la protection de l’environnement, le partage de nos richesses avec les nations en développement, autant de soucis qui se lisaient en filigrane des propos de Schuman et qui demeurent.
Non que l’Europe ne s’y soit pas intéressée jusqu’ici et qu’il faille la réinventer car inefficace : bien au contraire, les réussites de l’Europe – la paix entre ses Etats membres, la prospérité qu’elle assuré à ses peuples, l’attractivité de son modèle de gouvernance compliqué mais inégalé dans ses multiples interfaces : la démocratie, les droits de l’homme, l’Etat de droit – en font un sujet politique majeur, tant à l’égard de ses propres citoyens que du reste du monde.
Ne pas laisser le projet européen se perdre
L’Europe est une puissance économique et commerciale, qui grandit vite aussi sur le plan politique : elle s’exprime d’une seule voix dans les arènes internationales, elle défend la primauté du droit sur la force, elle ambitionne de se doter d’une capacité militaire pour la protection de son territoire, de ses intérêts et de ses valeurs.
Cette Europe suscite des convoitises et des oppositions : elles auront l’occasion de s’exprimer à l’occasion des élections du 9 juin. Ce que nous disent alors les évêques c’est qu’il ne faut pas laisser le projet européen « se perdre » par effet des « passions tristes » : cynisme, désenchantement ou résignation que dénonce le pape François, mais que « le moment est venu d’intensifier notre engagement par rapport à lui ».
Les évêques ne sont pas en peine d’identifier les chantiers et les défis qui demandent une réponse européenne soucieuse avant tout du bien commun. « Le chemin européen doit être un chemin d’entraide, de partage des richesses, de solidarité et de fraternité » : à nous de discerner, dans les discours politiques et les programmes électoraux, ce qui va dans le sens de cette Europe « de la vie commune » et ce qui nous en éloigne, à savoir « les revendications qui remplacent le bien commun, terrain fertile pour les replis identitaires ».
Croire en l’Europe
Le moment est venu, aujourd’hui comme ce fut le cas à d’autres moments de notre histoire, de « croire très fort à l’avenir de l’Europe », un avenir qui est entre nos mains. Jamais dans le passé le parlement européen pour qui nous irons voter, n’a détenu autant de pouvoirs politiques et décisionnels sur notre avenir commun qu’il en possède aujourd’hui. Cette élection n’a donc rien d’anodin, nous pouvons réellement exercer le choix de la solidarité ou celui de l’indifférence, de l’intégration ou de l’exclusion, de l’union ou de la séparation.
Rarement, face à une échéance aussi importante, des pasteurs européens auront été aussi proches de leurs fidèles et aussi soucieux du bien commun que l’auront été ces évêques. Puissent d’autres pasteurs se joindre à eux pour porter ce « projet d’espérance » qu’est l’Europe.
Alfonso Zardi, délégué général de Pax Christi France