Bérengère Savelieff a rencontré Meschac NAKANYWENGE, directeur exécutif de l’ONG Union pour la Promotion/Protection, la Défense des Droits Humains et de l’Environnement (UPDDHE), basée à l’est de la République démocratique du Congo. Depuis 2012, il est investi à la tête de cette organisation qui intervient activement dans le cadre de l’actuelle catastrophe humanitaire que traverse Goma, toujours agressée par le Rwanda. Dans cette interview, il nous livre son analyse de la situation actuelle. Interview :
Pourriez-vous faire un état des lieux de la situation à Goma ?
« La situation est catastrophique. Depuis le début de la guerre en 2022, le (groupe armé) M23 a gagné du terrain et les populations ont fui aux alentours de Goma et de Minova. 70% des déplacés sont des familles avec des enfants en bas âge. 30% seulement de ces populations sont accueillies dans des camps, qui sont surpeuplés. Déjà avant la guerre, Goma concentrait 2 millions de personnes. S’y ajoute aujourd’hui 3 millions de déplacés qui s’installent comme ils peuvent aux environs de la ville. C’est à Goma qu’on trouve le plus d’ONG et les personnes peuvent y trouver de l’aide. C’est plus compliqué en revanche pour les personnes qui ont fui au nord et qui se retrouvent isolées et complètement démunies. Dans la région de Kanya Bayonga, qui est plus rurale, il est très difficile aux personnes de trouver ne serait-ce que de la solidarité locale et des habitants pouvant aider à leur porter secours rapidement. Partout la nourriture vient à manquer. Face à la demande croissante, même les programmes internationaux comme le Programme Alimentaire Mondial (PAM) sont obligés de mettre en place des critères de vulnérabilité pour permettre l’accès aux denrées. Sauf que les autres personnes aussi subissent la famine et elles ne peuvent pas être aidées.
L’UPDDHE, en collaboration avec son partenaire Islamic Relief World (IRW), a pu distribuer de l’aide alimentaire dans un des 46 camps de déplacés où l’aide n’avait pas pu jusqu’alors être acheminée. Nous avons pu soulager environ 10 000 ménages, mais la distribution a dû s’effectuer en dehors du camp pour éviter que les autres familles ne réclament une aide que nous avions en insuffisance. Cela évite les soulèvements mais cela reste très dur humainement et injuste. Nous aimerions faire plus.
Quelles ont été les conclusions du Forum Humanitaire européen ?
Nous avons effectivement participé au Forum humanitaire européen qui s’est tenu à Bruxelles du 18 au 19 mars. Notre rôle a été d’alerter la communauté internationale sur la situation en République démocratique du Congo et de
demander à ce que celle-ci ne soit pas mise sous silence en raison de la forte médiatisation autour de la guerre en Ukraine, de la guerre à Gaza et de la situation au Yémen.
D’après vous, quel serait l’élément clef pour avancer vers la paix ?
Une intervention de la communauté internationale. La guerre que nous vivons dépasse les limites de la RDC et la communauté internationale se doit d’intervenir le plus rapidement possible. C’est le message que le Dr Mukwege et moi-même avons porté ensemble devant les représentants de l’Union européenne. Pour qu’il y ait la paix en RDC, il faut une intervention forte des Etats-Unis et de l’Union Européenne (et notamment de l’Allemagne, de l’Angleterre, de la France et de la Belgique). L’union de ces pays permettrait d’arrêter la guerre, comme ce fut déjà une fois le cas avec l’intervention du président Barack Obama en 2012, qui avait demandé aux milices du M23 de quitter Goma et qui avait obtenu gain de cause. Pourquoi devrions-nous supporter les bombardements à Minova et les milliers de déplacés qui souffrent de la faim si une puissance mondiale peut intervenir et cesser les hostilités ?
Au niveau de la RDC, nous avons tout essayé. Le président congolais a tenté de tendre la main au président rwandais et celui-ci nous fait la guerre. Nous souhaitons au plus vite le rétablissement de la paix. Notre seul espoir reste au niveau d’une intervention internationale.
Quel rôle joue l’église dans le rétablissement de la paix ?
Je dirais que les églises ont un rôle de catalyseur, elles sont écoutées à la fois par les populations et par les autorités. Les évêques de la région des Grands Lacs ont organisé récemment des assises pour discuter des conflits. Ils continuent à interpeler à leur niveau. Les évêques se sont également réunis à Kinshassa, à Goma et une délégation est allée visiter les déplacés des camps, accompagnée par des délégations internationales.
Des prières s’organisent régulièrement à Goma invitant toutes les couches sociales et toutes les confessions à se réunir et prier pour la paix. De nombreux groupes de prière se sont créés sur les réseaux sociaux pour rassembler chaque soir les fidèles et demander le rétablissement de la paix.
Comment envisagez-vous les prochains mois ?
Il faut continuer à interpeler et demander de l’aide. Il y a une recrudescence des besoins alimentaires et nous sommes encore dans l’urgence. Je suis le référent local concernant la charte pour le changement et à ce titre je me dois d’interpeler les acteurs humanitaires pour leur faire part des besoins et débloquer les aides. En RDC, nous avons mis en place une plateforme qui réunit les acteurs nationaux. Ensemble, nous pouvons nous rapprocher de l’Office de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) pour mobiliser des moyens. Les besoins sont multiples : alimentaires, hygiéniques, sanitaires (notamment pour les femmes enceintes), il faut se chauffer, se laver, s’abriter. L’aide doit être multisectorielle.
En dehors des temps de guerre, quelles sont les activités de votre organisation ?
Nous travaillons essentiellement à la consolidation de la paix et à la résolution pacifique des conflits. Nous avons une collaboration effective avec Pax Christi International sur la formation aux principes de non-violence active et nous travaillons avec leur organisation membre, Africa Reconciled. Nous menons des programmes pour aider à la cohabitation pacifique des communautés et ceci implique de s’engager aussi dans des actions permettant l’amélioration des conditions de vie des populations (comme l’entrepreneuriat et la formation au leadership). Nous sommes confrontés à plusieurs types de conflit, et notamment les conflits fonciers où les personnes se disputent des terres. Cela arrive souvent dans le Nord Kivu, où des conflits persistent entre des agriculteurs, des éleveurs et des grands propriétaires terriens par exemple. Il y a aussi des conflits de voisinage qui peuvent dégénérer et où nous impliquons les chefs religieux, les responsables de communautés et les autorités locales pour chercher des solutions concrètes. Dans le cadre de notre projet FARM, nous étions intervenus en faisant de la médiation après de propriétaires de plantation afin qu’une partie de leur terrain puisse être céder à des familles de réfugiés qui s’étaient installées sur une partie de leur terre et avaient tout perdu. Avec l’appui financier de Peace Direct, nous avions pu acheter des documents légaux à certaines de ces familles pour qu’elles puissent en devenir propriétaire. Cela a été un travail de longue haleine mais qui est porteur de paix aujourd’hui.