Rapprochements entre chrétiens et musulmans

Autour de la Méditerranée comme au Moyen-Orient, entre discordes et espérance de paix, des personnes inspirées œuvrent pour nourrir la fraternité et construire un chemin de convivance. Éclairage contextuel avec Abdelkader Al Andalussy Oukrid pour une perspective commune de paix.

Après le foisonnement intellectuel et artistique de l’Andalousie des débuts de l’an mille, et les discussions animées de la Maison de la sagesse de Baġdād, un précurseur du dialogue entre Islam et Chrétienté au Moyen-Âge fut Frère François.

Des rapprochements à la suite de saint François

En 1219, en pleine guerre des cinquièmes Croisades (1217-1221) en égypte, frère François a demandé à rencontrer le sultan Al Kāmil à Damiette, pour « sauver son âme » ou trouver une issue vers la paix. Il a été reçu et après avoir livré controverse, il est reparti convaincu de la foi de son interlocuteur, et déterminé à œuvrer concrètement pour la fraternité, dans le respect de chacun, la douceur et l’humilité. Huit cents ans plus tard, nous étions nombreux à commémorer l’histoire de cette rencontre par des colloques, journées d’études, allocutions et retrouvailles conviviales entre chrétiens et musulmans.

Un nom qui déjà rapproche

C’est dans cet esprit que Jorge Mario Bergoglio a choisi le nom de François lors de son élection en tant que pape. N’en restant pas au seul symbole, il essaie depuis d’incarner le principe de frère François malgré de fortes résistances. Par exemple, certains refusent Nostra Aetate, le texte de Vatican II sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes (1965) alors que pour les musulmans, cette déclaration est devenue un marqueur essentiel.

Dès le début de son pontificat en 2013, le pape François s’est donné deux objectifs : réorganiser la Curie romaine pour servir une Église vivante ; et nourrir le dialogue interreligieux, notamment avec l’islam et les musulmans. En 2018, il disait à des représentants de la Province de Marseille : « À ce débat, les chrétiens sont appelés à participer avec les croyants de toutes les religions et tous les hommes de bonne volonté, en vue de favoriser le développement d’une culture de la rencontre. » L’année suivante, il commença un périple considéré par les musulmans comme essentiel, voire salutaire.

De la foi doit naître la fraternité

D’abord en février 2019 à Abu Dhabi. Il a rencontré Amad Al-Tayyeb, le représentant de l’école Al Azhar du Caire avec qui il a signé un document sur « La fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune » dans lequel ils ont déclaré adopter « la culture du dialogue comme chemin ; la collaboration commune comme conduite ; la connaissance réciproque comme

méthode et critère » ; affirmant en préambule que « La foi amène le croyant à voir dans l’autre un frère à soutenir et à aimer. De la foi en Dieu, qui a créé l’univers, les créatures et tous les êtres humains – égaux par Sa Miséricorde –, le croyant est appelé à exprimer cette fraternité humaine, en sauvegardant la création et tout l’univers et en soutenant chaque personne, spécialement celles qui sont le plus dans le besoin et les plus pauvres. » Ce document fait date et constitue un sursaut dans les relations islamo-chrétiennes, les redynamisant.

La culture du dialogue comme chemin, la collaboration commune comme conduite.

Plus que la fraternité : l’amitié

En octobre 2020, le pape François réitère son engagement avec l’encyclique Fratelli Tutti sur la fraternité et l’amitié sociale en écrivant « Lors de cette rencontre fraternelle, (…) le Grand Imam Ahmad Al-Tayyeb et moi-même avons déclaré fermement que les religions n’incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence ou à l’effusion de sang. Ces malheurs sont le fruit de la déviation des enseignements religieux, de l’usage politique des religions et aussi des interprétations de groupes d’hommes de religion qui ont abusé – à certaines phases de l’histoire – de l’influence du sentiment religieux sur les cœurs des hommes. […] En effet, Dieu, le Tout Puissant, n’a besoin d’être défendu par personne et ne veut pas que Son nom soit utilisé pour terroriser les gens. C’est pourquoi je veux reprendre ici l’appel à la paix, à la justice et à la fraternité que nous avons fait ensemble. »

La même année, en décembre 2020, l’ONU proclamait le 4 février « Journée internationale de la fraternité humaine », et en 2024, un appel à la Fraternité a été élaboré par les organisations engagées dans le dialogue, et de nombreux événements organisés.

Revenons à 2019 où en mars, le pape François était aussi allé rencontrer le roi Mohamed VI, puis en Irak en 2021 et à Bahreïn en 2022. Toutes ces visites ont été vécues dans la continuité de celle du pape Jean-Paul II à Casablanca (1985) organisée en faveur d’une estime mutuelle dans des perspectives communes de paix. La Méditerranée tumultueuse, sera-t-elle source de paix ?

Abdelkader Al Andalussy Oukrid
Universitaire, enseignant-chercheur, vice-président de la Conférence Mondiale des Religions pour la Paix

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