Au cœur du conflit, jusqu’au bout pour la paix

En 2023, l’ONG Cercle des Parents – Forum des Familles (PCFF) avait remporté le Prix de la paix de Pax Christi International pour son investissement dans la recherche d’une amitié et d’une solidarité entre familles endeuillées d’Israël et de Palestine. En pleine guerre, l’association continue d’espérer une réconciliation. Entretien avec Robi Damelin, militante pour la paix israélienne, membre de l’association.
Nous avons le cœur brisé

Robi Damelin est une femme israélienne engagée dans le Cercle des Parents, une association créée en 1995 pour accueillir et réunir des personnes israéliennes ou palestiniennes meurtries par le décès ou la perte d’un être cher dû à la violence structurelle en Terre Sainte. Née en Afrique du Sud, dans une famille engagée contre l’Apartheid, Robi Damelin est venue s’installer en Israël en 1967. Elle a d’abord vécu dans le Nord de Tel Aviv puis a déménagé à Jaffa, une ville mixte où vivent des Israéliens et des Palestiniens. à son niveau, elle s’engage pour l’apaisement des tensions et milite activement pour qu’advienne une paix durable entre et pour les deux peuples.

Comment se vit ce désir de paix au cœur des instances de l’association ?
À ce jour, le Cercle des Parents fonctionne entièrement grâce à des instances mixtes, c’est-à-dire que toutes les fonctions importantes sont occupées par une personne israélienne et une personne palestinienne. Pour la première fois depuis sa création, l’organisation est dirigée du côté palestinien par une femme directrice qui agit en binôme avec un directeur israélien. C’est le même principe pour les chargés d’éducation et de communication : « La gouvernance est en double pour permettre de garder l’équilibre. Personne ne peut signer un chèque ou commencer un projet sans l’accord de l’autre. C’est une garantie de fraternité ».

Quel est le profil des personnes qui rejoignent le Cercle des Parents en ce temps de guerre ?
Le Cercle des Parents compte plus de 700 familles. Les nouveaux membres qui rejoignent l’organisation depuis le commencement de la guerre sont des familles palestiniennes, essentiellement de Gaza. « Les pertes sont très importantes et toutes les familles vivent une période très difficile. Nous avons été rejoints récemment par le fils d’une de nos membres, une femme exceptionnelle qui accompagnait régulièrement les enfants de Gaza jusqu’aux hôpitaux en Israël pour les aider à se faire soigner. Elle était très engagée aussi auprès des Bédouins. Nous pensions qu’elle avait été capturée et prise en otage, jusqu’à ce que nous apprenions qu’elle avait été brûlée vive. Nous avons

Robi Damelin

aussi appris que dix-neuf Bédouins s’étaient sacrifiés pour tenter de sauver la vie de personnes prises pour cible lors de la rave party. Non, vraiment, les pertes sont atroces et très douloureuses pour nous tous. »

Comment envisagez-vous de travailler à la paix quand la guerre sera terminée ? Nous travaillons déjà à la paix. Et je dirais que cela relève vraiment du miracle que nous arrivions à continuer malgré la période très sombre que nous traversons. Au moment de l’intifada de 2002, nous avions eu une période où il n’était plus possible de communiquer. En ce moment, nous y parvenons et c’est un vrai miracle.

Concrètement, comment vous soutenez-vous ? Nous allons rendre visite aux familles israéliennes qui ont perdu des proches le 7 octobre et nous organisons des zooms avec les familles palestiniennes qui sont en Cisjordanie et ne peuvent pas se déplacer. Nous recueillons leurs témoignages et essayons de les soutenir. La situation en Cisjordanie est terrible, les familles nous racontent qu’elles doivent attendre deux heures aux checkpoints pour ne serait-ce que se rendre aux magasins d’alimentation. Les pères de famille n’ont plus de travail, la situation économique de certaines d’entre elles est catastrophique. Les violences domestiques augmentent du fait du stress et de la situation. Le dernier webinaire que nous avons fait était justement sur le thème de l’espoir. C’est très important d’être là les uns pour les autres et de se soutenir. Je pense très souvent aux femmes de Gaza. L’hiver est là et elles doivent survivre dans des tentes, se cacher et subir cette peur. Ceux qui vivent dans les Kibboutz aux alentours de Gaza ont aussi peur. Quels hommes et quelles femmes grandiront demain ? C’est la question qui m’obsède. Avec toute cette peur accumulée et cette haine qui monte, il faut laisser le temps à cette haine de redescendre, de traiter les traumatismes. Tout ce qui s’est passé après le 7 octobre était motivé par la peur et la vengeance. Nous voulons tous sortir de cette guerre atroce, il faut trouver une solution !

C’est très important d’être là les uns pour les autres et de se soutenir

Comment voyez-vous les choses sur le long terme ?
Toutes les familles de notre association réclament la paix. Mais nous ne voulons pas d’un énième cessez-le-feu qui ne résoudra rien et n’aboutira qu’à repousser la reprise des hostilités. Nous portons la même espérance au sein de l’association. Sur le long terme, nous voudrions créer un cadre pour qu’un réel processus de réconciliation puisse faire partie d’un futur accord de paix politique. Nous ne faisons partie d’aucun bord et nous ne savons pas s’il y aura un État, deux États, quatre États, ce n’est pas de notre compétence. En revanche, nous savons que nous aspirons à la paix pour les deux peuples et c’est tout ce qui nous importe. En tant que femme israélienne, j’aimerais que mon voisin puisse se lever le matin sans se préoccuper de ce qui pourrait lui arriver dans la journée. J’aimerais que mon voisin ait la liberté. Que ce soit dans son État ou dans notre État, ça, ça regarde les politiques. Ce que je veux pour lui, et pour nous, c’est la liberté.

La guerre à Gaza risque de déstabiliser toute la région, que craignez-vous le plus ? Bien sûr que cela participe de la déstabilisation de la région, et cela ne concerne pas seulement la Méditerranée. Le conflit a une résonance internationale, beaucoup de pays ont importé le conflit. Cela crée des tensions au niveau des campus où les étudiants musulmans et juifs sont pris pour cible alors qu’ils n’ont rien à voir là-dedans. La montée de l’antisémitisme et de l’islamophobie sont inquiétantes. Nous essayons de contrecarrer cette violence en nous déplaçant et en témoignant de ce que nous vivons. Par exemple, nous allons entamer un travail sur ces questions avec l’université de Georgetown. Nous allons aussi parler de la situation économique des familles palestiniennes à la Banque mondiale. Concernant la région, nous sommes inquiets du front qui pourrait s’ouvrir dans le Nord avec le Liban. Ce serait terrible, il faut absolument éviter cela.

Comment pouvons-nous vous aider ?
« Arrêtez de prendre parti », « faites partie de la solution et non pas du problème ». Arrêtez de prendre parti ne signifie pas ne pas parler de ce qui se passe, mais nous n’avons pas besoin que le monde se divise entre pro-Palestiniens ou pro-Israéliens. Nous avons besoin de gens qui s’engagent dans la non-violence, qui prennent le parti de la paix et d’une paix durable pour les deux peuples.

Propos recueillis par Bérengère Savelieff

Vous aussi, vous pouvez promouvoir la paix et la réconciliation
Telle est la phrase qui accompagne les témoignages bouleversants des membres du « cercle des famille », The Parents Circle, à consulter sur leur site. Leur crédo est « nous avons le cœur brisé », mais ils continuent de croire à la réconciliation. Alors pourquoi pas nous ?