Marie-Armelle Beaulieu est la rédactrice en chef de Terre Sainte Magazine. Installée à Jérusalem depuis plusieurs décennies, elle livre ici un témoignage intime, à portée universelle, sur sa réaction à l’attaque du Hamas le 7 octobre, et à la riposte d’Israël.
Marie-Armelle Beaulieu
Je vais bien, je ne cours pas de danger immédiat. Parce que je ne suis ni juive ni palestinienne, parce que ça se voit, je dirais ici « ça se flaire ». Le risque qu’une roquette qui tomberait sur Jérusalem m’atteigne est infinitésimal et je ne vais pas aller, avant un bon moment, en dehors du périmètre de l’agglomération. Je n’ai pas un tempérament qui me porte à m’inquiéter pour ma vie. Jérusalem où je vis est atterrée et les gens restent chez eux, suivant les directives de la sécurité civile. Je suis amenée à me déplacer pour des raisons professionnelles. Dans les deux réalités de la ville, arabe et juive, le constat est le même 75% des magasins sont fermés, il y a peu de gens dans la rue. C’est, de fait, moins dû au risque pour nos vies que du fait que tout le monde est anéanti.
Nos âmes sont mises à rude épreuve depuis samedi.
Je condamne sans hésitation les massacres perpétrés par le Hamas. Le nombre de morts est non seulement effarant mais les conditions dans laquelle des civiles, enfants, femmes, personnes âgées ont été assassinés sont barbares. Les morts de la rave party, le pogrom du kibbutz de Be’eri sont inqualifiables dans l’horreur. Suis-je surprise ? Par tout ce qui se passe depuis samedi : oui. Surprise, atterrée, effarée, glacée, sidérée.
Le volcan couvait, on le savait
Pour autant, quiconque suit la situation palestinienne savait que la situation était intenable et exploserait. Cela fait des mois que l’on s’interrogeait sur la possibilité d’une troisième intifada. Avant, samedi 7 octobre, l’année 2023 était déjà la plus meurtrière depuis des années dans les deux camps israéliens et palestiniens.
En revanche personne n’aurait imaginé cette forme. Et dans la faillite des services israéliens et dans la barbarie du Hamas. Le volcan couvait on le savait. Et de la part des Églises, ce n’est pas faute d’avoir alerté. J’espère que ceux qui ont créé ces conditions en répondront un jour.
Hier, un jeune israélien m’a dit : « Vraiment nous sommes surpris ? Comme si nous n’avions pas été assez arrogants en croyant que nous avions réduit 5 millions de Palestiniens à vivre comme des indiens (« natives Americans ») dans les réserves que nous leur laissions ».
Plus tard dans la conversation, il m’a dit qu’il avait été soldat d’élite et qu’il avait tué des quantités de Palestiniens et qu’à l’époque il était «à l’aise avec ça». « C’était comme descendre un paquet d’ordures, ce n’est pas agréable mais ça le fait.» Et il a poursuivi : «Un jour dans mon unité, l’un d’entre nous a protégé la vie d’un terroriste contre tous ceux qui voulaient le
lyncher. C’est lui le héros. Tuer c’est facile, c’est à la portée de n’importe quel imbécile. Voir l’Homme dans ton ennemi, c’est ce qui fait de toi un Mensch, un être humain. Ce jour-là, j’ai grandi en regardant ce que les héros savent faire.»
Ce qui est arrivé aux Israéliens est innommable, ce que de nombreux Israéliens réclament, l’élimination pure et simple de 2 millions de gaziotes, ne l’est pas moins. Les mesures prises par le gouvernement israélien de coupure de l’eau et de l’électricité ne sont pas prises pour éradiquer le Hamas comme indiqué mais pour punir collectivement une population qui vit sous le joug de ces radicaux musulmans depuis 2006.
Tous les gens que je rencontre sont dévastés. Y compris les Palestiniens que je connais. Je n’ignore pas que certains se réjouissent encore. Encore qu’entre les réjouissances de samedi matin à l’idée que la sécurité israélienne puisse avoir été ainsi déjouée et la réaction aujourd’hui à l’idée des réactions en cascades, il y a d’immenses différences.
Je refuse d’avoir à choisir maintenant même si le prix est de me faire insulter des deux côtés.
Et moi là-dedans ? J’aime les deux peuples, chacun pour des raisons différentes. Plus qu’ils ne le peuvent imaginer. Je trouve les deux légitimes à vivre sur cette terre. Je reconnais les deux.
Partir ? J’ai choisi cette terre et ses habitants et n’ai pas l’intention de les quitter.
Depuis 25 ans que je vis ici, j’ai travaillé à mon échelle à rendre les voies de la conciliation possibles, à défaut de réconciliation avant longtemps. J’ai refusé d’épouser les discours de l’un contre l’autre. J’ai travaillé à ne pas me laisser empoisonner par la haine. Ce n’est pas faute de voir de quoi basculer.
Je refuse d’avoir à choisir maintenant même si le prix est de me faire insulter des deux côtés.
Je ne suis ni Israélienne ni Palestinienne. Je ne prétends pas être neutre. Je prétends – comme l’ont dit les papes venus ici – que ce pays a besoin de ponts et non de murs. Je revendique de pleurer sur tous les morts, sans distinction de sexe, de religion, de parti politique. Je prétends que la situation dans laquelle nous sommes est la preuve qu’on ne peut pas continuer à ignorer les droits des Palestiniens à vivre dans la dignité, sur la terre où ils ont vu le jour et leurs pères avant eux.
J’ai dû prendre la décision de refuser d’intervenir dans des médias aux formats courts qui ne me donnent pas l’occasion de m’exprimer dans la nuance. Et d’ailleurs j’entrerai dans le silence avec soulagement.
Ma voie ici, est celle d’une suite du Christ assumée. Ma voie ici est de vivre des évangiles et de m’en nourrir. Ma voie ici est la contemplation de la croix et de celle du vide du tombeau, avec la sérénité que donne aux heures les plus sombres cet acte de foi : « Le Christ est ressuscité des morts ! Par la mort il a vaincu la mort ! et il a donné la vie à ceux qui sont dans les tombeaux ! »
Χριστός Ανέστη εκ νεκρών, θανάτω θάνατον πατήσας και τοις εν τοις μνήμασιν, ζωήν χαρισάμενος.
هذا هو اليوم الذي صنعه الرب، فلنفرح ولنتهلل به المسيح قام من بين الأموات ووطئ الموت بالموت ووهب الحياة للذين في القبور