Haut-Karabakh : un si gênant silence

L’Azerbaïdjan a finalement obtenu la victoire par la faim et les armes, forçant les Arméniens à quitter leur terre du Haut-Karabakh. Alfonso Zardi, délégué général de Pax Christi s’interroge sur le silence de l’Europe au sujet de la nouvelle tragédie arménienne.
Alfonso Zardi, délégué général de Pax Christi France

Alfonso Zardi

Délégué Général de Pax Christi France

Maintenant que les 100.000 (à peu près) Arméniens du Nagorno-Karabach ont trouvé refuge en Arménie et que leur ancienne et indéfendable république auto-déterminée n’existe plus, il est temps de se demander ce qui n’a pas fonctionné dans le système européen de sauvegarde de la paix et défense des droits des minorités. Car si la « légitimité » en droit international de l’enclave arménienne au cœur de l’Azerbaïdjan n’a jamais été validée, sa destruction pure et simple n’est pas une opération de maintien de l’ordre, encore moins une campagne « antiterroriste ».

Il existe, sur le sol européen et au niveau international, des principes, des droits, des valeurs que les Etats, membres de Nations Unies, du Conseil de l’Europe, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont souscrits et se doivent de respecter. Et ni l’invasion d’un voisin, aussi encombrant soit-il, ni le nettoyage ethnique d’une partie de « son » territoire ne font partie des méthodes admises et acceptées.

Il y a donc un problème avec l’apparition voire la consolidation de régimes totalitaires, autoritaires et proprement impérialistes là où la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit sont pourtant censés régner et être appliqués avec le concours, s’il le faut, des autres Etats membres de la même « famille » de nations.

une défaite morale et une détresse économique et humanitaire sans précédent pour l’Arménie

Au vu de ce qui s’est passé – une victoire militaire rapide et facile, un exode massif encouragé par les nouveaux occupants et par ceux qui devaient plutôt bloquer l’invasion, lisez les Russes, une défaite morale et une détresse économique et humanitaire sans précédent pour l’Arménie – l’Azerbaïdjan n’a appris aucune des « leçons » de démocratie (ou de droits de l’homme) qui lui ont pourtant été patiemment administrées.

L’exclure du Conseil de l’Europe – comme ce fut le cas de la Russie, après l’agression de l’Ukraine – serait-ce une sanction envisageable quoique symbolique ? On peut en douter, au nom du réalisme politique qui a fait de Bakou un « partenaire » incontournable de l’Europe pour ses approvisionnements en gaz naturel, alternatifs à ceux en provenance de Russie. Se fâcher maintenant avec l’intraitable président Aliev ne servirait pas la cause de la paix économique et sociale en Europe, si cela devait mener à une nouvelle flambée des prix de l’énergie et de l’inflation en général.

On fera donc « avec », tout en assurant à l’Arménie que sa cause est entendue et qu’on ne tolérera pas d’atteintes à sa souveraineté – ou ce qu’il en reste.

Sans surprise, mais avec un courage certain, Erevan a depuis adhéré à la Cour pénale internationale (Statut de Rome), ce qui l’éloigne encore un peu plus de Moscou, qui a logiquement jugé cette décision « extrêmement hostile » à son encontre.

Cela montre bien la ligne de partage entre les Etats qui croient en la « force du droit », aussi floue soit-elle, et ceux pour qui la force fait le droit. L’Europe, si douloureusement silencieuse sur la nouvelle tragédie arménienne, ferait bien de réaffirmer au moins dans lequel des deux camps elle se situe.

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