Justice expéditive, « ordre rétabli », loi « anti-casseurs » à venir : quelle place est faite à un projet de paix et de réconciliation après les violences qui ont marqué la France au début de l’été ? L’éditorial d’Alfonso Zardi.
Alfonso Zardi
Avant d’être occulté par une autre actualité tout aussi brûlante – la canicule, les incendies de l’été – le nombre des condamnations prononcées à l’encontre des « émeutiers « de juin dernier a été donné aux Français sur le point de partir en vacances. « Il y a 1.278 jugements, avec 95% de condamnations et 1.300 déferrements (sic) au Parquet », a rapporté Éric Dupond-Moretti sur une radio très écoutée. « 905 personnes ont fait l’objet d’une comparution immédiate, 1.056 personnes ont été condamnées à une peine d’emprisonnement dont 742 à une peine ferme et 600 personnes ont été incarcérées. »
Le discours a convaincu : comme promis, l’ordre républicain a été « rétabli », aussi la tranquillité règne-t-elle dans les cités et les centres urbains mis à sac, les touristes sont revenus et les commerces saccagés ont rouvert, pour le bonheur (légitime) des commerçants.
Pour autant, la paix est-elle aussi revenue dans les quartiers difficiles, dans les nombreuses familles dont un enfant, au vu des chiffres donnés, est maintenant en prison ou risque d’y finir, dans les écoles et les espaces publics où d’autres tensions risquent d’exploser sous prétexte de tenue vestimentaire ?
En quoi la justice expéditive de ces dernières semaines contribue-elle à la pacification des esprits dont notre société a si cruellement besoin ?
Comment se fait-il que notre société ne parvienne pas à une prise de conscience sérieuse de ses fragilités et de ses fractures et semble se contenter de la paix factice qu’induisent la présence sans doute plus visible et aussi plus musclée des forces de l’ordre sur le territoire et celle aussi d’une justice pénale qui se veut sévère sans l’assurance d’être pour autant dissuasive ?
Car, à quoi cela sert-il de mettre des gens en prison – et pas seulement les « émeutiers » – s’ils n’en sortent pas « purgés » de leur haine et prêts à retrouver ou à se forger une place dans la société qui les a – qu’on le veuille ou non – plutôt rélégués à la marge ? En quoi la justice expéditive de ces dernières semaines contribue-elle à la pacification des esprits dont notre société a si cruellement besoin ?
L’ordre « rétabli » risque bien de n’être que celui dont sont issues les violences qu’on déplore. Ne faut-il pas alors le remplacer par un ordre plus juste et fraternel, celui-même qui s’affiche sur le fronton de nos mairies ?
Justement, les ministres de la Justice et de l’Intérieur – a encore dit M. Dupond-Moretti – réfléchissent à une nouvelle loi « anti-casseurs », ce qui revient à renforcer l’arsenal pénal au détriment de l’action préventive et aussi éducative.
Au titre des ministres compétents, à consulter sur les projets législatifs qui pourraient bientôt voir le jour, il
conviendrait dès lors d’associer de toute urgence les ministres de l’éducation, de la famille, et des droits de l’homme, pour que celle qui sortira de leurs consultations ne soit pas une loi « anti » quelque chose, et encore moins « anti » quelqu’un (les « casseurs »), mais une loi « pour » la paix et la réconciliation, pour la justice et le refus de la violence au sein de la société, mieux, au sein de la « famille humaine » que nous sommes censés constituer.
Le temps de Caïn est révolu : que la France, comme le père qui guette le retour de son enfant prodigue, fasse le choix de l’accueil et de la fraternité de toutes ses filles et fils, choisisse la paix au lieu de se préparer à de nouveaux affrontements. Et que notre Eglise soit en première ligne dans ce combat pour l’homme et sa dignité, Pax Christi dans la modestie de ses moyens est prêt à s’y engager.