Alors que la loi de programmation militaire est à l’étude au Parlement, Alfonso Zardi interroge le choix des législateurs de financer la défense et la guerre plutôt que la paix.
Alfonso Zardi
L’examen de la nouvelle loi de « programmation militaire » 2024-2030 se poursuit au parlement sans susciter de débats acharnés ni sur son bien-fondé ni sur son coût. Un consensus large semble se dessiner sur un texte engageant la France à se réarmer lourdement (pour un coût global de 431 milliards d’euro) sur une période relativement courte, pour faire face à ce qui est désormais perçu non pas comme un scénario parmi d’autres, mais une réalité qui se déploie sous nos yeux et qui nous oblige à nous préparer au pire.
Certes, ce « pire » n’est jamais nommé et à plus d’un égard il demeure assez improbable : la France pourrait-elle jamais être l’objet d’une invasion comme l’a été l’Ukraine ? La menace nucléaire pourrait-elle jamais jouer contre la France au point de déclencher une riposte équivalente de sa part ? En fait, être prêt à livrer une guerre y compris atomique serait le meilleur moyen de l’éviter.
En réalité, dans l’état actuel des relations internationales, la guerre prend des formes multiples allant bien au-delà du binôme classique attaque-défense.
Elle peut être hybride, informationnelle, ou se livrer par « procuration ». Le « champ de bataille » est aussi insaisissable que le passage de la nuit au jour : il s’agit de cet espace cybernétique voire du cerveau des hommes, soumis aux influences pernicieuses d’une intelligence artificielle mise au service de la domestication, voire de l’asservissement.
Aussi, pour reprendre, en la renversant, la formule de Clausewitz, la guerre de demain ne s’arrêtera-t-elle pas faute de combattants, elle n’aura même pas lieu, car il ne se trouvera personne pour la livrer : par désir sincère de paix ou par la manipulation des cerveaux ?
C’est bien le dilemme des décideurs politiques et des législateurs, qui ne peuvent pas omettre de se demander dans quel but la nation se réarme, étend ses alliances, sécurise ses flux commerciaux, protège les ressources nécessaires à sa survie. Car si la défense est un réflexe, la paix est une exigence vitale. Défense et paix sont les deux faces de la même médaille et l’une ne peut pas aller sans l’autre.
Or, on ne peut s’empêcher de constater que si la volonté – et les moyens – que les Etats consacrent à leur défense se renforcent, une telle volonté et des moyens comparables affectés au maintien de la paix, voire à son rétablissement font toujours cruellement défaut.
Jamais comme en 2022 le commerce international des armes ne s’est aussi bien porté. Alors que les budgets des Nations Unies, de l’UNESCO voire du Conseil de l’Europe patinent. Faire la paix, en parler, y éduquer sont des choix politiques qui occupent des places de « milieu de classement », voire carrément de « relégation ».
La guerre est une bien meilleure « affaire » que le travail silencieux, long, souvent invisible de l’éducation à la paix, de la réconciliation, du rétablissement de la confiance. Car la paix n’est pas seulement de la « dissuasion » de passer à l’irréparable par crainte de représailles insupportables. Elle est avant tout reconnaissance de la commune humanité, de la fraternité qui nous unit, du destin partagé qui nous attend.
Rechercher, assurer la paix passe par une autre forme de « dissuasion » : celle qui met au premier plan le multilatéralisme dans les relations entre les Etats, pratique et honore la justice internationale, respecte les cultures, défend les droits de l’homme partout où ils sont menacés ou violés. Si la guerre est hélas l’affaire des Etats, la paix est plus que jamais la responsabilité de la communauté internationale. Nos législateurs seraient bien inspirés de lui en donner aussi les moyens.