
Alfonso Zardi
A quelques jours de la « journée de l’Europe », qui commémore la déclaration Schuman du 9 mai 1950, il est bon de réfléchir aux avancées réelles ou présumées de l’Europe sur le chemin de la paix. Celle-ci fut en effet le cœur du message de Schuman : pour éviter toute guerre entre la France et l’Allemagne, qui avaient été à l’origine des deux conflagrations mondiales du XXe siècle, il fallait mettre en commun – dans une « communauté » d’États et de peuples – le contrôle des ressources nécessaires à la guerre, à savoir le charbon et l’acier. Cela aurait évité les dérapages (la guerre ?) liés à la maîtrise par une seule puissance étatique de la capacité de production des armements. On a vu qu’il en a été ainsi, la guerre étant évitée sur le continent ouest-européen depuis 70 ans. Et ceci non seulement grâce à la maîtrise du charbon et de l’acier – devenus rapidement obsolètes en tant que « matière première » de la guerre d’alors – mais également par la multiplication des autres mécanismes de coopération et d’intégration économique et politique entre États qui ont fini par créer un climat de confiance entre les peuples, rendant la guerre impossible à « penser » et donc à « faire » entre Européens.

crédits Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons
Or la guerre d’Ukraine se déroule précisément en dehors de l’Union, ce qui pose la question de l’extension du domaine de la paix en Europe : suffirait-il d’inclure de nouveaux États (l’Ukraine, la Moldavie) dans l’Union pour leur assurer la paix ? Vis-à-vis des autres membres oui, mais, qu’en serait-il des États non-membres ? La dynamique de l’adhésion future suffit-elle à provoquer un réflexe de paix dans la politique étrangère des pays candidats et de leurs voisins, ou son contraire ? On le voit bien dans les Balkans, où les relations entre la Serbie et ses voisins ne sont pas vraiment apaisées du fait des pourparlers d’adhésion, ni dans le Caucase, où cette même perspective attise la colère du puissant voi-
sin russe, jadis inquiet – c’est le moins qu’on puisse dire – de voir des États anciennement vassaux, devenus indépendants, lui « échapper » et désormais résolument opposé à cette démarche.
Quelle main l’Europe unie tendra-t-elle à ses voisins, la Russie en premier lieu, pour leur faire accepter un avenir partagé de prospérité et de paix ?
L’Europe unie et pacifiée en son intérieur est ainsi devenue paradoxalement la « cause » des guerres qui se combattent dans son voisinage proche, qu’une autre puissance considère comme lui appartenant. Comment faire comprendre qu’il n’en est rien, sauf se plier à la logique des « sphères d’influence » que l’Europe et le monde ont connues durant quarante années et dont on espérait être débarrassés avec la chute du Mur de Berlin ?
En 1950, la main tendue de Schuman à Adenauer visait à faire reconnaître à l’Allemagne toute entière que la paix était possible malgré un très lourd passé – et si proche, de surplus – de guerre et de violences inouïes. Quelle main l’Europe unie tendra-t-elle à ses voisins, la Russie en premier lieu, pour leur faire accepter un avenir partagé de prospérité et de paix ? Ici, le verbe a son importance et l’histoire récente montre bien que les deux côtés emploient les mêmes mots pour signifier chacun autre chose.
Commençons donc par purifier le langage, écouter l’un l’histoire de l’autre, remonter aux racines de la colère, dialoguer avant de négocier. La commune foi en Christ ressuscité ne devrait-elle pas le permettre ? Les intellectuels en exil, les artistes qui emploient le langage de la musique, de la poésie, du théâtre ne peuvent-ils pas montrer que cette communion des esprits est toujours vivante ?
La « communauté » de Schuman fut précédée de discrètes rencontres d’hommes politiques, intellectuels, journalistes français et allemands, résolus à se comprendre d’abord pour agir ensuite. Ceci se passa dans des couvents, avant de migrer dans les salons des ministères.
Oui, l’Europe aujourd’hui divisée a besoin urgent d’un « parloir », où faire écoute, accueil et si besoin est, repentance. L’antichambre de la paix ?