La Chine, un acteur au service de la paix ?

Déplacement à Moscou, rencontre avec Emmanuel Macron, présentation d’un “plan de paix” pour l’Ukraine, Xi Jinping multiplie les apparitions sur la scène politique internationale. Partenaire historique de la Russie, la Chine souhaite offrir une image de médiatrice voire d’actrice de paix entre la Russie et l’Ukraine. Pékin a en réalité tout intérêt à ce que la guerre se poursuive, c’est en tout cas l’avis d’Emmanuel Véron, spécialiste de la Chine contemporaine, chercheur associé à l’INALCO.

Emmanuel Véron

Spécialiste de la Chine contemporaine

Chercheur associé à l’INALCO

Quelle est la position de la Chine depuis le début de l’invasion de l’Ukraine ? 

Pékin apporte depuis le début de l’intervention un soutien implicite à Moscou. La Chine a déclaré sa neutralité à l’ONU, mais cette neutralité interroge car Pékin n’a jamais condamné l’intervention et continue à utiliser le terme « d’opération spéciale », qui est celui employé par Moscou pour qualifier l’invasion de l’Ukraine. Xi Jinping ne s’est jamais entretenu avec Zelensky pendant la première année de guerre alors qu’il a rencontré Vladimir Poutine au sommet de l’Organisation de coordination de Shanghai.

Et il ne s’agit pas uniquement d’un soutien de principe, l’enquête du média américain Politico a révélé le soutien direct de la Chine via des livraisons d’armes. Ce soutien passe aussi par le développement des relations commerciales entre les deux Etats. En 2021, le commerce bilatéral pesait entre 140 et 150 millions de dollars, et pesait 175 millions en 2022, c’est une évolution significative. Cela a notamment permis à la Russie de recevoir des livraisons des machines à laver de la part de la Chine d’où sont extraits les semi-conducteurs servant à la fabrication de missiles. Le soutien chinois a donc un volet diplomatique et un volet matériel.

La Chine se présente pourtant comme médiatrice de paix …

Le fait que Xi Jinping se soit rendu en Russie alors que Poutine est désormais sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale (CPI) casse l’image d’un Etat qui dit travailler à la paix. La Chine essaie de tordre la réalité, de capitaliser le plus possible sur la médiatisation et profite de cette guerre pour redorer l’image de Xi Jinping après le Covid. La guerre est un bon prétexte pour apparaître comme un acteur international incontournable et Pékin en profite pour accélérer le tempo des rencontres diplomatiques. Depuis 2022, Xi Jinping a mené une quarantaine d’échanges diplomatiques de haut vol, avec des pays émergents dans la grande majorité des cas. Mais en réalité Pékin n’a pas intérêt à ce que la guerre prenne fin. Cela permet à la fois de continuer à polariser l’Occident sur la guerre en Ukraine, de saturer la capacité militaire des Etats-Unis et d’affaiblir la Russie, c’est tout à l’avantage de Pékin. 

La Russie peut-elle se satisfaire de ce soutien à double tranchant ? 

Poutine connaît parfaitement Xi Jinping, les deux hommes ne s’apprécient pas mais ils ont besoin l’un de l’autre. La Chine n’est pas un allié mais un partenaire, c’est surtout un acteur incontournable du monde non-occidental. La visite de Xi Jinping à Moscou était une manière de conforter la relation sino-russe dans une configuration favorable à la Chine tout en lui permettant d’apparaître dans une logique de front contre front envers l’Occident et les Etats-Unis

crédit : Abayomi Azikiwe/flickR

Vous insistez sur le développement du commerce bilatéral entre les deux pays, quels en sont les principaux enjeux pour la Chine? 

Il s’agit de densifier certaines activités, notamment la vente de gaz et de pétrole de la Russie à la Chine. Pékin a acheté beaucoup à Moscou depuis le début de la guerre et se trouve en position de négocier les prix en sa faveur. Les technologies et les biens de consommation sont également dans la balance. Des dossiers plus secrets sont aussi sur la table, notamment la location de la Sibérie et du lac Baïkal à la Chine et la redirection du gazoduc depuis le champ gazier Yamal vers l’Asie Orientale. De ce point de vue, la Chine a un évident intérêt à l’affaiblissement de la Russie sur le plan économique, politique et géopolitique.

Que retenir du “plan de paix” pour l’Ukraine que la Chine a présenté ? 

Ce n’est pas un plan de paix. Les Chinois ne parlent d’ailleurs pas de plan de paix, mais ils sont parvenus à le faire considérer comme tel. Tous les points sont creux. Le texte est inconsistant à dessein. Son seul objectif est de permettre à la Chine d’apparaître comme un acteur face aux Etats-Unis. En apportant un soutien réel mais discret à Moscou, Pékin joue la montre jusqu’à l’épuisement des occidentaux. Il s’agit de faire durer la guerre au moins jusqu’à l’élection présidentielle de 2024 aux Etats-Unis. Les Etats-Unis mettent beaucoup d’argent et d’énergie au service de l’Ukraine et cela entraîne l’épuisement des stocks d’armes, et la saturation de l’appareil industriel. On a en arrière plan le spectre de Trump ou de DeSantis (gouverneur républicain de Floride) qui ne sont pas sur la même ligne.