Marc Larchet
Du 3 au 13 février 2023, je me suis rendu en Israël, avec Alfonso Zardi, tous deux représentants de Pax Christi France, dans le cadre d’un voyage d’étude sur les acteurs de paix et les défenseurs des droits de l’Homme. Nous avons été témoins d’une situation très tendue et complexe mettant en avant d’une part la perte progressive et accentuée des droits des Palestiniens, et d’autre part un important clivage au sein de la population juive sur la manière de faire vivre la démocratie israélienne.
Je vous partage ici quelques impressions suite aux nombreuses rencontres faites durant ce voyage. Je souhaiterais qu’elles nous invitent à la fois à entendre l’appel du peuple palestinien et à percevoir la pluralité des opinions juives.
Depuis la création de l’État d’Israël en 1948 puis les différentes guerres israélo-arabes, cette terre de Palestine qui devrait faire cohabiter deux peuples, le peuple juif et le peuple palestinien, voit se succéder les tensions meurtrières. Surtout, au fil de l’histoire, le peuple palestinien est réduit à vivre dans des secteurs de plus en plus isolés, ceinturés par les murs et les check-points, devenant le prisonnier sous contrôle de l’armée israélienne. Tout déplacement est rendu quasiment impossible, et les rencontres inter-palestiniennes entre territoires se trouvent interdites. Aller travailler, par exemple, hors des territoires est un véritable parcours du combattant parsemé de contrôles musclés. Cette réalité ne fait qu’accentuer la précarité économique palestinienne. Dans ce contexte, alourdi des dissensions entre responsables palestiniens, l’autorité palestinienne a perdu peu à peu toute prérogative dans les territoires palestiniens eux-mêmes.
Les Palestiniens sont devenus, année après année, des citoyens de seconde zone, ayant perdus de nombreux droits. Pour la grande majorité d’entre eux, la vie quotidienne est devenue excessivement difficile. A l’impossibilité de se déplacer et à la situation économique désastreuse, s’ajoutent la difficulté des enfants à accéder à l’éducation, les violences régulières, la pratique de la détention arbitraire sans possibilité de faire valoir ses droits et la privation du droit de propriété. Les colons juifs, militants de la cause « la Terre d’Israël est la terre exclusive du peuple juif », expulsent souvent avec violence les Palestiniens de leur terre, détruisant leur maison et s’appropriant leurs biens. Les recours très nombreux auprès de la justice israélienne sont rejetés au motif qu’il n’existe pas d’acte de propriété écrit.
De nombreux témoins n’hésitent pas à parler d’une situation d’apartheid vécue par les Palestiniens.
Les Palestiniens subissent cette violence quotidienne au cœur même de Jérusalem. De plus en plus nombreux sont les îlots de colons juifs au milieu des quartiers palestiniens de Jérusalem-Est. Après avoir expulsé les familles palestiniennes de force, des familles juives s’installent dans leurs immeubles, protégées par une cohorte de gardiens de sécurité armés, souvent en provenance d’Ethiopie. Voyant une maman juive sortir d’un immeuble avec son bébé et un de ses gardes du corps pour rejoindre un véhicule blindé et se déplacer, je me suis fait cette réflexion : « quelle vie ! Tant pour ces familles juives que pour la population palestinienne du quartier ! ». Le tout est un brûlot prêt à exploser. Et quand de jeunes palestiniens veulent riposter à coups de pierres, ils sont tués par les forces armées.
Aujourd’hui de nombreux témoins n’hésitent pas à parler d’une situation d’apartheid vécue par les Palestiniens. De plus en plus de Palestiniens, en particulier les jeunes, exaspérés par leurs conditions de vie, ne voient qu’une issue : quitter le pays et s’installer à l’étranger.
Cette dégradation constante du droit des Palestiniens est sans cesse dénoncée par les observateurs internationaux. Mais force est de constater que les instances internationales, si elles multiplient les remontrances, n’exercent pas de réelles pressions sur le pouvoir israélien afin qu’il mette un terme à cette atteinte gravissime aux droits des Palestiniens. Les défenseurs des droits de l’Homme palestiniens, mais aussi israéliens, n’ont cessé de nous demander d’agir auprès de nos gouvernements occidentaux pour que les réactions n’en restent pas à un aspect uniquement formel. Me trouvant face à ces interlocuteurs au moment où Emmanuel Macron recevait très officiellement Benjamin Netanyahu à l’Elysée, je n’ai pu qu’exprimer mon regret et mon pardon devant cet aveuglement français.
Les prisons d’Israël sont bondées de prisonniers politiques vivant souvent dans des conditions désastreuses.
Défendre les droits des Palestiniens est devenu une cause à haut risque que beaucoup d’ONG affrontent au quotidien. En effet, comme tout Palestinien défendant ses droits, les ONG qui les soutiennent sont rapidement considérées comme terroristes, étant, à ce titre, soit poursuivies en justice soit interdites d’entrée sur le territoire israélien. De nombreux interlocuteurs palestiniens rencontrés sont confrontés à cette accusation de terrorisme avec un risque de condamnation à la détention. Les prisons d’Israël sont bondées de prisonniers politiques vivant souvent dans des conditions désastreuses.
Aujourd’hui Israël est engagé dans un rapport de force démographique : 7 millions du côté juif comme du côté palestinien. Le taux de natalité chez les Palestiniens étant plus élevé, l’État juif ne cesse d’inciter les juifs du monde entier à rejoindre Israël. Les arrivées depuis les pays de l’Est est particulièrement importante. Ces installations récentes ne vont pas sans poser le problème de l’héritage culturel et de la manière de s’intégrer à la société israélienne, force étant de constater que la population israélienne juive est très divisée sur la conception de ce que doit être L’État d’Israël.
Beaucoup d’Israéliens estiment que le territoire d’Israël doit permettre de faire vivre deux peuples avec des droits communs
En prolongement avec ce dernier point, il est important de rappeler que le gouvernement Netanyahu a gagné les élections avec un écart de 40 000 voix et que la coalition mise en place avec des ultra-orthodoxes, ne souhaitant pas une démocratie en Israël mais un Etat de droit divin, est d’une part contestée par une grande partie de population israélienne (pour preuve les récentes et régulières manifestations contre les projets de loi de réforme de la justice qui ont réuni plus de 250 000 personnes pour dénoncer les atteintes à la démocratie) et apparaît d’autre part comme une stratégie de Benjamin Netanyahu pour ne pas être jugé dans les nombreuses affaires judiciaires dans lesquelles il est impliqué.
Beaucoup d’Israéliens estiment que le territoire d’Israël doit permettre de faire vivre deux peuples avec des droits communs, dans le respect des diversités et la volonté de faire vivre une démocratie.
La pression économique amènera-t-elle la disparition des engagements chrétiens au service de la société israélienne et palestinienne ?
Il est à noter enfin que les accords diplomatiques entre Israël et un certain nombre de pays arabes (Maroc, Émirats arabes unis…) se multiplient. Et nous ne pourrions que nous en réjouir s’ils ne s’accompagnaient pas d’un abandon quasi-total du droit des Palestiniens à vivre sur cette terre qui est aussi la leur. L’isolement des Palestiniens semble là encore se renforcer et la perspective de deux États sur la terre de Palestine, un, israélien et l’autre palestinien, semble illusoire. Seul le Vatican paraît encore y croire, et ses diplomates poursuivent leurs efforts pour tenter de faire évoluer cette position, devenue une impasse. La présence chrétienne en Terre Sainte est pourtant de plus en plus fragilisée. Au-delà de positions extrémistes qui, au nom de la lutte contre toute idole prônée dans la Bible, détruisent les statues du Christ, faisant ainsi grandir les tensions entre communautés, l’État israélien et les communes, en particulier Jérusalem, imposent une pression fiscale de plus en plus importante aux institutions chrétiennes. Celles-ci sont en grande difficulté pour maintenir leurs activités au service de tous, dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’aide sociale, de la promotion de la femme… La pression économique amènera-t-elle la disparition des engagements chrétiens au service de la société israélienne et palestinienne ?
Il est essentiel, mais visiblement pas facile, que la diversité des Églises chrétiennes ait une stratégie commune pour maintenir leur présence sur la terre du Christ. N’oublions pas que la réalité chrétienne est une toute petite minorité ( 2% de la population) très majoritairement arabe palestinienne. On peut cependant penser que l’intérêt économique de la force touristique constitue un rempart contre l’affaiblissement de la présence chrétienne.
N’est-il pas possible qu’au nom de Dieu, cette Terre sainte soit l’exemple d’une cohabitation respectueuse de la diversité des expressions de foi ?
Voilà pour ces constats sur la vie et les droits du peuple palestinien. Il me reste à vous partager ce qui reste pour moi une interpellation à laquelle je ne vois pas de solution. Défendre les droits de l’Homme en Israël est très vite considéré comme une provocation antisémite. Nous sommes enfermés dans la mémoire du terrible drame de la Shoah, me semble-t-il, et cela légitimerait l’affirmation d’antisémitisme dès que les choix politiques israéliens sont contestés.
En France, nous devons maintenir notre intérêt et notre engagement au service du droit de deux peuples à vivre sur cette terre, et inciter les instances internationales à faire respecter les traités qu’Israël a signés.
En tant que chrétien, je m’interroge sur le désir de Dieu pour cette Terre, revendiquée comme sainte par les trois grandes religions monothéistes, judaïsme, christianisme et islam. N’est-il justement pas possible qu’au nom de Dieu, cette Terre sainte soit l’exemple d’une cohabitation respectueuse de la diversité des expressions de foi ? Si l’actualité interroge, nous devons travailler à cet objectif.
Pour Pax Christi France, cinq propositions d’actions sont à développer :
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Organiser un pèlerinage de dialogue à la rencontre des acteurs de paix. Ce pèlerinage sera proposé fin février 2024, information et inscription à suivre, mais vous pouvez déjà réserver cette période sur votre agenda.
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Travailler avec Pax Christi International et les différentes sections de Pax Christi pour mobiliser les instances internationales afin qu’elles fassent respecter les engagements pris par Israël.
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Faire un travail de sensibilisation auprès de la Conférence des évêques de France pour rester en alerte sur la situation en Israël et la présence fragilisée des Églises chrétiennes.
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Redynamiser le groupe de travail sur la Palestine et promouvoir des observateurs de paix venant de France capables de s’investir sur 2 ou 3 mois pour faciliter le passage des check-points.
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Actualiser le document « le défi de la Paix en Palestine et en Israël » avec les partenaires contributeurs de la première version, CCFD Terre Solidaire, Justice et Paix, Secours Catholique.
crédit photos : Marc Larchet / 2023
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