Le pape François est attendu en République démocratique du Congo puis au Soudan du Sud, du 31 janvier au 5 février. Initialement prévu au mois de juillet dernier, ce voyage avait été reporté par le Vatican pour des raisons de santé à la grande déception des épiscopats locaux. Au Congo, le Pape ira à la rencontre des fidèles, notamment des jeunes, des déplacés qui fuient les violences du Nord-Kivu, et des autorités politiques. Pour le voyage au Sud Soudan, présenté comme un « pèlerinage œcuménique de paix », François sera accompagné de Justin Welby, l’archevêque de Canterbury, leader spirituel de la communion anglicane.
François Mabille
chercheur au sein du Groupe Religions, Sociétés, Laïcités (CNRS), directeur de l’Observatoire géopolitique des religions de l’IRIS
L’analyse des enjeux de ce voyage pontifical avec François Mabille, professeur de sciences politiques, chercheur au sein du Groupe Religions, Sociétés, Laïcités (CNRS), directeur de l’Observatoire géopolitique des religions de l’IRIS
La dernière visite d’un pape au Congo remonte à celle de Jean-Paul II en 1985, comment comprendre ce choix de François ?
C’est sans doute lié à la personnalité du pape actuel. Depuis le début de son pontificat, François insiste sur le rôle de l’Église catholique comme médiatrice de paix, comme actrice de paix, que ce soit en Colombie, en Ukraine, au Venezuela… Le Soudan du Sud et la République démocratique du Congo (RDC) sont deux pays symbolisant tous les fléaux que le pape condamne : la pauvreté, la corruption, les inégalités dans l’allocation des ressources. De plus, si on prend l’exemple de la RDC, l’Église est une véritable institution, particulièrement écoutée au sein de la société civile. Historiquement, que ce soit sous Mobutu ou ensuite sous Kabila (père et fils), l’épiscopat, notamment par la voix de Monsengwo, constituait la principale force d’opposition politico-morale. A cela s’ajoute le fait qu’en Afrique, l’Église catholique s’est engagée de longue date sur la thématique de la paix. Le cardinal Monsengwo a notamment été président de Pax Christi International. Depuis, on voit que beaucoup d’évêques se mobilisent pour la paix à l’intérieur de leur diocèse en proposant des formations aux prêtres et aux laïcs dans le domaine de l’éducation à la paix. Ce maillage permet un travail en profondeur que le Pape, par ce voyage, vient saluer.
De quelle écoute peut bénéficier le Pape de la part des dirigeants ?
Le rôle du pape se situe dans le domaine spirituel et religieux. Il se livre également à un rappel de principes éthico-politiques qui peut avoir une influence sur le moment. Il ne faut pas surestimer l’impact de la parole du pape mais on voit bien que, lorsqu’il y a une médiation pontificale ou une rencontre sous l’égide du pape, cela peut avoir un impact momentané. Même si en général les conflits reprennent plus tard.
Ses déplacements ont sans doute un impact plus important auprès des fidèles…
C’est peut-être le plus important pour moi, dans la mesure où l’Église en RDC est une des principales forces morales et politiques. La chute de Kabila a tout de même été précipitée par la marche des chrétiens. Il est important que la communauté des croyants puisse être reconnue pour ce qu’elle est, pour son courage. Les gens prennent des risques et manifestent un courage réel sur le long terme. D’ailleurs, si le pays tient sous la présidence de Félix Tshisekedi, c’est notamment grâce à une sorte d’Église providence qui tient ce qui peut être tenu, à commencer par le système scolaire de l’école jusqu’à l’université. L’Église est également très présente dans le domaine social et dans celui de la santé grâce à un véritable maillage territorial.
Comment comprendre la dimension œcuménique que le Pape a souhaité donner à son déplacement au Soudan du Sud ?
C’est à mettre en perspective avec la situation globale du pays. Les chrétiens sont majoritaires et parmi eux les catholiques sont plus nombreux que les protestants. Le président catholique a nommé un premier ministre protestant qu’il n’apprécie pas. Au Soudan, le pape joue une partition qui n’est pas sans rappeler celle de la guerre en Ukraine à propos de laquelle François a parlé d’une guerre entre chrétiens. Le Pape attend des chrétiens qu’ils dépassent leurs différences d’identité pour être des hommes de paix. Il avait organisé une rencontre au Vatican en 2019 qui avait abouti à la constitution d’un gouvernement d’union national. Cette position est à double tranchant, les opposants pourraient dire que le christianisme ne parvient pas à pacifier le pays. La présence de l’archevêque de Canterbury aux côtés du Pape est symboliquement importante, mais c’est aussi le signe d’une faillite politique et cela interroge notamment la place, ou plutôt l’absence de place de l’ONU et de son secrétaire général, dans la gestion du conflit. On aurait pu attendre un geste, un discours, un déplacement de sa part à l’occasion de la venue des deux responsables religieux. Cela souligne l’effacement du leadership de l’ONU.
Sur quoi se fonde la diplomatie du pape actuel ?
Outre les compétences professionnelles de la curie et du réseau des nonces, la diplomatie vaticane dépend aussi de l’intérêt du Pape, de ses compétences et de son profil, on pourrait presque dire de sa psychologie.
Le positionnement du pape actuel provient d’une relecture de vie après le choc de Lampedusa. La question des migrants l’a amené à s’intéresser aux problématiques géopolitiques mondiales. Il a la conviction que plutôt que de parler du dogme, il faut montrer par des actes ce qu’est l’Église, c’est-à-dire avoir une pastorale concrète, pragmatique. François veut de l’efficacité. Ce rôle de pasteur se traduit par de la pédagogie active.