Alfonso Zardi
On l’a connu souriant, ou courroucé, casqué d’un trophée de plumes ou embrassant des enfants. Serrant des mains qui se tendent vers lui mais aussi repoussant une étreinte trop familière. Seul, marchant dans des rues vidées de leurs habitants par la pandémie ou portant une croix chargée avec toutes les douleurs du monde.
Un pape, car c’est de lui qu’il s’agit, qu’on aurait envie de qualifier de « normal », avec ses écarts d’humeur et ses bons mots, tantôt prudent jusqu’à l’hésitation, tantôt impétueux jusqu’à paraître déraisonnable. De lui on connaît le visage grave, ou pensif, ou encore enjoué.
En larmes, jamais. Jamais jusqu’à ce jeudi 8 décembre 2022 où, au pied de la colonne surmontée de la Vierge Marie, dans une « supplication » qu’il lui adressait, les sanglots ont interrompu sa prière. Un pape qui pleure, un pape que submerge l’émotion lorsqu’il confesse son impuissance, sa tristesse de ne pas avoir obtenu le retour de la paix en Ukraine.
On ne connaissait pas cela, les larmes d’un pape. Sa sincérité, sa ténacité dans la prière et l’action pour la paix, ne laissent pas indifférent. Rares, pour ne pas dire inexistants, sont les chefs d’État et aussi les chefs religieux à avoir aussi systématiquement et à chaque occasion invoqué la paix, fait des gestes, montré la voie – aussi contestée qu’elle ait pu l’être – de la possible réconciliation.
De sa visite impromptue à l’Ambassade de Russie à l’invitation à témoigner lors du Chemin de croix du Vendredi Saint fait à deux femmes, l’une russe, l’autre ukrainienne, de la consécration de la Russie et de l’Ukraine au cœur de Marie aux propositions publiques et détaillées pour engager un chemin de dialogue et qui sait, de paix, ce pape aura tout tenté – sans pour autant omettre de témoigner sa sollicitude pour le peuple
ukrainien martyr, de lui apporter son aide et d’inviter les fidèles du monde à faire des dons pour les victimes du conflit.
En mars, au lendemain de l’invasion, il avait supplié Marie, « de montrer aux peuples la voie de la fraternité, d’obtenir la paix pour le monde ». Que « tes pleurs » avait-il ajouté, « émeuvent nos cœurs endurcis » et « alors que ne se tait le bruit des armes, que ta prière nous dispose à la paix ». Huit mois ont passé, les larmes de Marie n’ont pas ému les « cœurs endurcis ». Alors le pape qui souhaitait apporter à la Vierge « les remerciements du peuple ukrainien, pour la paix que nous demandons au Seigneur depuis si longtemps » baisse les bras, arrête son discours et pleure à son tour. Un silence gêné gagne la place, quelques timides applaudissement font croire à une solidarité des présents pour un pape dont la force ne réside pas en d’inexistantes « divisions » mais en l’humilité de la prière.
Non, un pape qui pleure n’émeut pas le monde, c’est même mal vu : ne croit-il pas lui-même en la force de la prière, en la bonté de la voie qu’il a tracée et qu’il s’obstine à parcourir, dans une lourde solitude ?
Alors approchons-nous de ce vieux pape qui chancelle, et comme un autre pape nous invita à donner « sa caresse » à nos enfants au moment de les coucher, le soir du Concile Vatican II, consolons cet homme seul que secouent les sanglots. Sortons un mouchoir, essuyons ses larmes, disons-lui merci, en humanité et humilité.
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