Raoul Carbonaro
En février dernier, le Vieux Continent a été rattrapé par la guerre. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a réveillé en Europe la douleur des conflits qui n’ont épargné aucun continent ces trente dernières années.
Si les causes des conflits récents sont multiples, leur effet est malheureusement toujours le même : la négation de l’humanité de l’autre, conduisant aux massacres et aux viols, instrument abject de domination et d’anéantissement de l’identité de la victime. Pour établir la paix, il ne suffit donc pas d’arrêter les guerres, mais aussi de reconnaître les victimes par la justice.
La justice est caractérisée par la confiscation de la violence de la part d’une autorité reconnue légitime et par l’exercice de la force publique pour l’exécution contrainte de ses décisions. Elle permet la conciliation, et si cela s’avère nécessaire, elle peut prononcer des condamnations qui ont vocation à rétablir les équilibres détruits ou détériorés. Elle est une voix de la raison pour donner la mesure de toute chose. Elle est un chemin de vérité, même si elle peut demeurer imparfaite. Elle est un chemin de non-violence pour les parties au procès. Elle est une condition de la réconciliation.
Avec la création de l’ONU, à l’issue de la deuxième guerre mondiale, les grandes puissances ont réaffirmé la prééminence du droit et la compétence de juridictions internationales pour juger de différends. Après le constat de nombreux massacres, de la déportation et de l’extermination des populations juives, des déplacements forcés de millions de personnes en Europe centrale et alors que se posait la question de la décolonisation, 48 des 58 pays rassemblés sous l’égide de l’ONU ont adopté la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, véritable charte des droits fondamentaux humains placés sous la protection ultime de la justice. Or, rien de ce qui était souhaité à l’époque n’est totalement effectif à ce jour.
Certes les justices française ou belge se sont reconnues compétentes, dans certains cas, pour juger de crimes contre l’humanité, certes le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie a jugé des crimes de guerre, mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. Actuellement, la compétence universelle des Cours de justice internationales établies dans le cadre de l’ONU est loin d’être acquise et reste disputée. Certains États, et non des moindres, Etats-Unis, Russie, Chine, refusent de leur reconnaître pleine compétence. Il en va de même du Tribunal Pénal International habilité à juger des crimes de guerre et de la Cour Internationale de Justice,
compétente notamment pour juger des différends entre Etats. Seuls 73 Etats sur 193 Etats membres de l’ONU, reconnaissent sa compétence, de telle sorte que des désaccords n’ont parfois d’autre issue que des rapports de force, en violation de la Charte des Nations Unies.
Dans ces conditions, qu’adviendra-t-il à la fin de la guerre d’Ukraine ? Au regard des règles du droit, rien ne saurait légitimer l’agression de ce pays par la Russie et l’attitude belliciste des dirigeants russes et en premier lieu de Vladimir Poutine. Le jugement des crimes de guerre constatés en Ukraine et de leurs auteurs, au plus haut niveau, seront un préalable à la paix, puisqu’il ne peut y avoir de réconciliation que dans la vérité par la justice.
Pax Christi agit depuis sa création pour que la justice internationale soit établie comme un instrument de paix majeur, pour la confiscation de la violence et la contrainte de la loi, dans la limite des droits inaliénables des personnes, seuls garants de la paix civile au sein des nations et de l’émergence de la démocratie. Pour faire pression sur les Etats, cette mobilisation est plus que jamais nécessaire afin qu’ils reconnaissent la compétence des Cours de justices internationales et la force contraignante des arrêts de celles-ci.