La Cop 27 s’est ouverte le 6 novembre à Charm-El-Cheikh, en Egypte. Au cœur de la crise énergétique et après un été marqué par les conséquences dévastatrices du dérèglement climatique, la réaction de la communauté internationale est surveillée d’un œil inquiet par tous les acteurs de la lutte pour la protection de l’environnement. Les 193 Etats parties peinent toujours à s’accorder sur des objectifs communs au sujet, notamment, du financement de la transition énergétique des pays en voie de développement et sur l’indemnisation des « pertes et dommages » subis à cause du réchauffement.
L’économiste Elena Lasida, professeure à l’Institut Catholique de Paris, voit pour sa part dans le contexte actuel une « occasion historique pour penser autrement le développement ». Entretien.
Elena Lasida
La COP27 se tient en Egypte en pleine crise énergétique. La situation actuelle souligne notre dépendance aux énergies fossiles et interroge le travail engagé par la communauté internationale depuis la COP21. Quel regard portez-vous sur le respect des engagements pris au moment de l’Accord de Paris ?
Elena Lasida: L’Accord de Paris constitue un accord historique, ayant fixé un objectif très ambitieux (ne pas dépasser 1,5° de réchauffement), avec des engagements forts également en termes d’aide aux pays moins développés pour opérer leur transition écologique, et une ratification faite en temps record par la majorité des pays. Or les efforts des pays ne sont pas encore suffisants pour y arriver, avec les engagements actuels, les scientifiques estiment qu’on arrive à 2,8°, et la fameuse aide de 100 milliards promise aux pays plus pauvres n’a atteint en 2020 que 83 milliards. Le contexte international rend la situation encore plus complexe : la Russie, 4ème émetteur mondial de gaz à effet de serre, a été mise à l’écart des négociations depuis son invasion de l’Ukraine, La Chine et les Etats-Unis, les deux plus grands émetteurs, ne se parlent pas depuis le conflit autour de Taiwan… La confiance d’y arriver est aujourd’hui très fragilisée. Et pourtant, plus que jamais les impacts du réchauffement en termes de sécheresse et d’inondation se font sentir au niveau mondial.
Depuis la fin de l’été, les appels des responsables politiques en direction des citoyens se multiplient en faveur d’une « sobriété » nouvelle, d’une autre manière d’envisager notre rapport individuel à la consommation, notamment énergétique. Il est certes nécessaire que chacun opère sa conversion écologique, mais ne faut-il pas sortir les politiques écologiques de cette logique d’individualisation ?
En effet, le risque de réduire l’effort de sobriété au seul comportement individuel peut le rendre inefficace et à la fois très culpabilisateur. Or l’Etat fait appel également aux entreprises et aux collectivités locales pour mettre en place des politiques de réduction de consommation énergétique. Mais l’enjeu actuel autour de la sobriété n’est pas uniquement conjoncturel : il interroge le fondement de notre modèle de développement basé sur l’augmentation permanente de production et de consommation. Le pape François dans Laudato Si’ souligne clairement le besoin de définir autrement « le progrès ». La sobriété n’est pas seulement une réduction transitoire de consommation, individuelle et collective. Elle est un appel à penser d’une manière radicalement nouvelle le développement et la « vie bonne ».
Quelles pistes s’offrent à nous pour construire un nouveau modèle ? Cela peut-il être l’occasion de repenser l’articulation entre économie et bien commun?
En effet, la crise actuelle est une opportunité historique pour penser autrement le développement. Traditionnellement associé à la croissance économique, et de ce fait à la seule création de valeur monétaire, le développement a besoin d’être redéfini. La valeur « relationnelle » constitue aujourd’hui une référence intéressante pour penser autrement le développement. Les pratiques de l’économie sociale et solidaire, de l’économie circulaire et symbiotique, ou de l’économie de fonctionnalité ouvrent en ce sens des pistes intéressantes car elles accordent une place centrale à la dimension relationnelle du vivant.
Dans votre ouvrage, Le goût de l’autre, vous appelez à ne pas réduire l’activité économique à sa rentabilité mais à voir en l’économie la possibilité de créer de la relation et du lien social, comment cette idée peut-elle s’articuler avec la nécessaire conversion écologique ?
L’écologie est la science qui étudie les relations entre les organismes vivants : c’est-à-dire que l’écologie suppose de mettre la relation au centre de la vie et du vivant, humain et non humain. De ce fait, la conversion écologique à laquelle appelle le Pape François, consiste
justement à changer nos relations avec toutes les créatures. Il s’agit de sortir d’une relation utilitaire à l’égard du vivant pour tisser avec lui une relation de communion. Or si la communion n’est jamais évidente à tisser entre les humains, elle est encore plus difficile à imaginer avec des créatures non humaines. Mais c’est bien là qui réside le cœur de la conversion écologique. Nous avons l’habitude de penser l’environnement en terme de « ressource » à utiliser. La conversion écologique suppose de le penser avant tout comme des êtres de relation.
Les phénomènes climatiques extrêmes que nous avons vécus cet été ont été accompagnés d’une demande de partage de « l’effort climatique » qui s’est portée symboliquement sur les jets privés, mais aussi sur la question des « superprofits », comment interprétez-vous cette demande de justice climatique et comment y répondre ?
La justice climatique va de pair avec la justice sociale : on ne peut pas considérer l’une sans l’autre; les opposer en prétendant qu’il y a une plus importante ou urgente que l’autre, c’est la meilleure manière de les desservir toutes les deux. C’est normal que les personnes, les entreprises et les pays qui sont le plus responsables de la pollution mondiale, fassent un effort plus grand pour la réduire, et pour aider ceux et celles qui sont surtout ses victimes. L’Accord de Paris est la première convention internationale à avoir reconnu une responsabilité différenciée entre le Nord et le Sud par rapport au réchauffement climatique. Cette responsabilité différenciée se situe également à l’intérieur même de chaque pays du Nord et du Sud entre les plus riches et les plus pauvres. L’effort climatique peut ainsi être également une opportunité pour réduire les inégalités sociales et économiques.