Alfonso Zardi
En honorant, par la plus haute distinction morale au monde, trois hérauts de la liberté d’opinion, de parole et d’association en Russie, Biélorussie et Ukraine, le comité Nobel s’est attiré, une fois n’est pas coutume, les foudres de celles et ceux qui considèrent que c’est là une façon inacceptable de placer sur le même plan l’agresseur et l’agressé, la victime et le bourreau. Que le comité Nobel ne s’en offusque pas, c’était déjà arrivé au pape François, à l’occasion du dernier Vendredi saint, lorsqu’il avait associé deux femmes, l’une russe, l’autre ukrainienne, au Chemin de croix.
La question n’est pas là, dans l’apparente (et trompeuse) équidistance des donneurs du Prix par rapport à la guerre en cours. Car, dans ce cas, il n’y a de prix « de la paix » à décerner à moins qu’on veuille étrangement honorer la guerre, celle que mènent ceux qui se défendent et leurs alliés, face à l’agresseur russe, lequel la livre à l’Ukraine en même temps qu’à son propre peuple qui rechigne, on le voit bien, à le suivre sur cette voie sans issue.
Le prix Nobel 2022 est un prix de paix parce qu’il récompense les œuvres de la paix que sont la liberté d’association et de pensée, la politique (« la plus haute forme de charité » a dit le pape), la recherche de la vérité. C’était déjà arrivé par le passé, à chaque fois que « les Nobel » ont distingué des hommes et des institutions qui ont « fait » la paix des œuvres (et pas des traités) par le microcrédit aux plus pauvres, les soins aux lépreux et aux intouchables, la lutte contre la faim, la non-violence…
Parfois le prix est allé à des hommes qui n’ont pas tenu la promesse que cette haute distinction leur demandait d’honorer : exécuter de bonne foi un traité de paix, respecter un ancien adversaire, dégager un avenir serein pour les nouvelles générations (et pas seulement) qui voient monter les menaces climatiques et l’horizon s’assombrir pour tous. Quel héritage de guerres et destructions tous ces « distingués » du prix de la paix vont-ils laisser à ceux qui leur succéderont ?
Mais la valeur du Nobel – qui est le seul prix à s’être
imposé à l’échelle planétaire – est de plus en plus dans le message qu’il nous adresse à nous, spectateurs tant de la guerre à la télé (tous les soirs) que de la cérémonie d’Oslo (dans quelques semaines) : chacun de nous, par ses œuvres, son action, son témoignage de paix, de dialogue, de patience dans la recomposition des liens amicaux entre les hommes et aussi avec l’environnement, est un prix Nobel qui s’ignore…
Les « sages » d’Oslo n’en sauront jamais rien, mais contentons-nous de nous savoir et de nous affairer en tant qu’ « artisans » de la paix (Pape François, encore lui) alors que les « architectes » sont à la peine dans la construction d’un monde de paix.
Merci aux « Nobel » d’avoir honoré dans le vacarme des armes, les cris d’enfants, les silences de mort, des hommes et des femmes qui « répondent au mal par le bien ». Que ce prix nous protège aussi de la pulsion de haine qui parfois nous habite : non, tu n’as pas fait d’eux, tu ne feras pas de nous des « ennemis ».