Le lundi 15 août, dans beaucoup d’églises de France, les fidèles ont entendu, certainement pour la première fois, la proclamation de la lettre pastorale que l’archevêque de Toulouse, Jules-Géraud Saliège, avait fait lire par ses curés (« sans commentaires », avait-il exigé) le 23 août 1942. Quatre-vingt ans plus tard, c’est à la demande du président des évêques de France, Monseigneur Eric de Moulins-Beaufort, qu’elle a été lue à nouveau. Il souhaitait ainsi que les catholiques s’associent à la communauté juive qui a effectué un geste semblable le 13 juillet dernier.
La lettre est connue : par celle-ci, l’évêque Saliège, proteste dans des termes voilés mais finalement très énergiques, contre le traitement infligé aux juifs et aux étrangers, au mépris des lois humaines et divines qui fondent la dignité et la fraternité de tous les hommes. Mais dans son déroulé, elle est « intemporelle », en ce qu’elle ne mentionne ni un événement déclencheur ni une autorité « responsable » (sans que cela empêche du reste Vichy de protester dans les termes les plus fermes).
Elle rappelle une évidence – les juifs et les étrangers sont des hommes, les juifs et les étrangers sont des femmes – comme nous, vient-il spontané d’ajouter – qui débouche sur une interpellation que chacun s’adressera à soi-même sans besoin d’y être poussé (la lettre devait être lue « sans commentaire »).
Que pousse donc les évêques de France à nous la proposer à nouveau à la méditation ?
Certes il y a un anniversaire qui mérite d’être salué. Mais il y a plus : en cet été 2022 il n’est pas incongru de se rappeler à soi-même – pasteurs et fidèles – l’impérieuse nécessité de la fraternité dans un temps historique et dans une société où les fractures, les exclusions, les guerres, se multiplient et semblent s’imposer comme la nouvelle donne de ce début de millénaire.
Par le truchement des paroles drues, directes, assenées
comme des faits évidents (ce qu’elles sont en effet), de Saliège, chacun de nous aujourd’hui, comme ses diocésains de 1942, qui ne s’y attendaient pas, est placé devant sa conscience : l’Église est-elle oui ou non un lieu d’asile ?
Pourquoi tant d’hommes et de femmes d’Église se conduisent-ils en « vaincus » ? par des grignotages successifs, des droits fondamentaux ne sont-ils pas seulement « violés » mais en passe d’être « supprimés » ?
Les « juifs » et les « étrangers » d’hier ont aujourd’hui les visages des nouveaux migrants, réfugiés climatiques, exclus et marginalisés de toutes conditions que les crises économique, climatique, sanitaire et maintenant aussi les guerres mondiales (pour les céréales, pour les énergies, pour l’eau, pour les métaux rares…) transforment en autant de « non-personnes ».
Pax Christi accueille le message de l’évêque Saliège et de tous les évêques de France comme une exhortation à persévérer et intensifier son engagement pour la réconciliation et la paix au cœur de l’Église, de la société, et de la communauté internationale, et est heureux de porter à l’attention de tous ses membres et amis ce texte si engageant pour nous tous.
Alfonso Zardi, délégué général de Pax Christi France
Découvrez la lettre de l’évêque Saliège, lue aux paroissiens du diocèse de Toulouse, le 23 août 1942 :
Mes très chers frères,
Il y a une morale chrétienne, il y a une morale humaine qui impose des devoirs et reconnaît des droits. Ces devoirs et ces droits tiennent à la nature de l’homme. Ils viennent de Dieu. On peut les violer. Il n’est au pouvoir d’aucun mortel de les supprimer.
Que des enfants, des femmes, des hommes, des pères et des mères soient traités comme un vil troupeau, que les membres d’une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués
pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle.
Pourquoi le droit d’asile dans nos églises n’existe-t-il plus ?
Pourquoi sommes-nous des vaincus ?
Seigneur, ayez pitié de nous.
Notre-Dame, priez pour la France
Dans notre diocèse, des scènes d’épouvante ont eu lieu dans les camps de Noé et de Récébédou. Les juifs sont des hommes, les juives sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier.
France, patrie bien aimée, France qui porte dans la conscience de tous tes enfants la tradition du respect de la personne humaine. France chevaleresque et généreuse, je n’en doute pas, tu n’es pas responsable de ces horreurs.
Recevez, mes chers frères, l’assurance de mon affectueux dévouement.
Jules-Géraud Saliège
Archevêque de Toulouse