Cela fait cinq mois que la guerre en Ukraine fait rage sans qu’aucun signe de sortie de crise ne soit perceptible. Ce conflit meurtrit la population mais aussi la terre de ce pays considéré comme le grenier à blé de l’Europe et du monde. Les bombardements, l’occupation de terres et de silos par l’armée russe ainsi que le blocus de la mer Noire ont raison des exportations massives alimentant de nombreux pays, notamment africains. Cette situation a des conséquences catastrophiques sur la sécurité alimentaire d’un grand nombre d’États africains déjà victimes de la pandémie de Covid-19.
Entretien avec Guillaume Compain, chargé de campagne agriculture et sécurité alimentaire chez Oxfam France
Guillaume Compain
Quelles sont les régions ou les pays d’Afrique les plus touchés par les conséquences de la guerre en Ukraine ?
Les pays d’Afrique les plus concernés par les ruptures d’approvisionnement en blé russe et ukrainien sont ceux d’Afrique du Nord; à commencer par l’Egypte qui importe 85 % de son blé depuis ces deux pays. C’est aussi le cas de la Tunisie et du Maroc.
Pour ce qui est de l’Afrique de l’Ouest, la guerre en Ukraine a accentué l’inflation généralisée des denrées alimentaires qui existe depuis longtemps déjà. En cinq ans, le prix du maïs a augmenté de 30 % et celui du riz de 20 %. La guerre renforce cette inflation. Elle entraîne aussi une augmentation généralisée du prix des engrais et du pétrole qui touche l’agriculture africaine, même si elle est moins industrialisée que l’agriculture européenne. Cela se répercute sur les prix. Plus de 30 millions de personnes souffrent de la crise alimentaire en Afrique de l’Ouest, avec un accès difficile à l’alimentation et l’apparition de poches de famine.
La situation en Afrique de l’Est est encore plus critique. A titre d’exemple, l’Érythrée et la Somalie dépendent presque entièrement des importations de blé en provenance de Russie et d’Ukraine. L’Ethiopie, le Kenya, la Somalie souffrent déjà de famine : on estime qu’une personne y meure de la faim toute les 48 secondes.
Vous évoquez une inflation antérieure à la guerre en Ukraine, quelles en sont les causes?
La situation s’est dégradée avec la guerre en Ukraine mais la pandémie de Covid avait déjà beaucoup aggravé les choses en accélérant la hausse des prix. A Oxfam, on parle du « cocktail des 3C » : conflit, covid, changement climatique. La plupart des personnes souffrant de la faim vivent dans des zones de conflit, cela rend l’agriculture et les récoltes plus difficiles, comme on peut l’observer en Ukraine. Pour ce qui est du changement climatique, dans la corne de l’Afrique, les épisodes de sécheresse empirent en fréquence et en intensité. Dans certaines zones on en est à deux ans ou quatre ans sans pluie : c’est une situation hors-norme qui n’a jamais été observée depuis au moins 70 ans. Au Sahel, les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient.
Quels sont les leviers d’action pour limiter cette crise alimentaire ?
L’urgence pour nous c’est le déblocage des fonds demandés par l’ONU pour répondre à la crise alimentaire au Sahel et en Afrique de l’Est. Il y a un véritable besoin de coordination de la réponse internationale. Il faut que les pays vulnérables soient placés au cœur de la réponse : il nous paraît essentiel de cibler prioritairement les organisations de producteurs favorisant l’agroécologie plutôt que des chaînes de valeur mondiales dirigées par des multinationales qui font elle-même partie du problème. L’agroécologie permet aux agriculteurs d’être beaucoup moins dépendants des intrants qui sont très coûteux.
Des voix s’élèvent pour dénoncer ceux tirant partie de la guerre en Ukraine pour faire du profit, que faire pour limiter ce phénomène ?
On demande une plus grande transparence de l’état des stocks, notamment des stocks privés des traders. Cela va de pair avec une régulation plus forte : il faut éviter que certains acteurs s’accaparent l’essentiel des commodités disponibles. Il y a un vrai besoin de renforcer les stocks nationaux et régionaux pour faire tampon en cas de fortes fluctuations des coûts. Un mécanisme de ce type a commencé à être déployé en Afrique de l’Ouest. On se heurte toutefois à l’OMC qui limite l’action des États pour développer le commerce local par rapport au commerce international, les règles doivent être assouplies.