L’héritage

Alfonso Zardi, délégué général de Pax Christi France

Alfonso Zardi

Délégué général de Pax Christi France

Le départ de Boris Johnson de la scène politique britannique, qui reste certes quelques semaines encore premier ministre mais cantonné aux « affaires courantes », a été salué comme une bonne nouvelle. Finis les mensonges à répétition, les faux repentirs suivis de nouvelles révélations, les menaces de revenir sans cesse sur les accords signés, dont le Brexit et le protocole irlandais.

Même si l’opinion publique faisait toujours montre d’apprécier l’outrecuidance de Bo-Jo sur les dossiers européens et la mise en accusation constante de Bruxelles pour tout ce qui allait mal dans le Royaume-Uni, la plus grande partie de la classe politique a souhaité mettre un terme à un exercice du pouvoir qui s’avérait chaque jour plus nuisible pour la population et pour le crédit international du pays.

Mais il y a un élément de l’héritage de Boris Johnson qui risque de lui survivre : l’organisation de la déportation de quelques centaines d’immigrés clandestins vers le Rwanda. Il ne s’agit pas d’un coup de tête extravagant et illégal – au vu des traités internationaux en vigueur – mais d’un choix politique délibéré (et un accord bilatéral conclu en bonne et due forme) que tout successeur de Johnson va vraisemblablement maintenir voire aggraver.

Cette politique, qui divise l’opinion publique Outre-Manche, est largement soutenue par l’électorat conservateur. Et la décision de la Cour européenne des droits de l’homme ordonnant l’arrêt des déportations risque de durcir l’attitude de l’aile la plus xénophobe du parti. Cette décision a été immédiatement suivie d’effet et a eu raison du premier charter: sur les 170 réfugiés expulsables à la fin il n’en restait que sept consentants qui n’ont finalement pas quitté le sol britannique.

Que viennent faire une fois de plus les injonctions de « Bruxelles » dans nos choix politiques, s’interrogent les Britanniques ? N’avons-nous pas quitté cette « Europe-prison » ?

Rares sont les observateurs osant préciser que « Bruxelles » n’a rien à voir avec tout cela (bien que la Commission européenne ait évidemment condamné l’initiative avortée du gouvernement), qu’il s’agit de droits de l’homme et pas de la taille des anchois, de la Cour de Strasbourg et pas de celle de Luxembourg. Surtout, qui aura le courage politique de rappeler que la Grande Bretagne a été à l’origine (en 1950) de cette convention dont elle a jusqu’ici scrupuleusement respecté les dispositions ?

Des voix de plus en plus virulentes demandent désormais qu’on tourne le dos à la convention et à la cour (de Strasbourg). Un moyen, d’après certains, pour que Bruxelles laisse « enfin » les Britanniques en paix.

Si elle quittait le système européen de protection des droits de l’homme, le Royaume-Uni se retrouverait en compagnie de la Grèce (des colonels) et de la Russie (de Poutine) et son exemple pourrait encourager la Turquie (d’Erdogan). L’Europe serait alors encore plus démunie devant les violations des droits et le respect de la dignité de chacun, quelles qu’en soient la nationalité, le sexe, les origines, la religion.

Tel est l’héritage de Boris Johnson qu’une nation aveuglée par sa bouffonnerie pourrait endosser avec enthousiasme. Souhaitons que ce ne soit pas le cas.