A la suite du Bienheureux Charles de Foucauld, Pax Christi propose, dans ce nouveau dossier thématique, de poursuivre un itinéraire spirituel vers une connaissance plus approfondie des moyens de promotion de la paix (intérieure et extérieure) en nous inspirant du parcours d’une de ses fidèles disciples, Magdeleine Hutin, fondatrice de la congrégation des petites sœurs de Jésus. L’histoire de Sœur Magdeleine, tout comme celle de Frère Charles, est marquée par de lourdes épreuves, incluant la guerre et la maladie, qui ont forgé sa personnalité et son amour de Dieu. En se «laissant prendre par la main», cette femme fragile de santé, dont la route se voulait au départ toute petite et discrète, a fini par devenir un instrument privilégié du Créateur pour répandre la fraternité dans le monde entier, par le biais de la tendresse. Face aux ravages de la loi du plus fort qui laissait de côté les plus faibles, Pte Sr Magdeleine voulait proposer une voie de la fraternité qui prendrait soin de tout type de fragilité. Elle consacra sa vie aux plus marginalisés et aux plus démunis, sans distinction de race, de religion ou de condition sociale. Elle avait l’intuition que la tendresse serait un remède puissant pour contrecarrer la violence qui infiltrait tous les milieux et tous les continents. Magdeleine voulait offrir l’innocence de l’enfant de Bethléem au monde en réponse à la cruauté, la haine et au mépris de la dignité humaine. Combien de fois ne nous sentons-nous pas impuissants face à la violence qui fait rage dans le monde ? La violence qui sévit en actes est un témoignage visible du manque d’amour dans les cœurs. Beaucoup de cœurs se sont endurcis et beaucoup de consciences ont été défigurées. Le Christ de Bethléem est le miroir de la tendresse de Dieu proposant un tout autre chemin de vie. La vie de Petite Soeur Magdeleine en est un témoignage époustouflant.
La vocation de Magdeleine commence par un rêve, celui du Sahara… Laissons-nous donc une nouvelle fois enseigner par ce lieu de dépouillement, qui est aussi oasis de grâces !
Le Sahara, rêve et remède
L’histoire de Pte Sr Magdeleine nous entraîne une nouvelle fois dans les dunes du Sahara. Dès l’enfance, Magdeleine Hutin ressent une attirance inexpliquée pour le désert ; en particulier pour la terre d’Algérie. Elle rêve de pouvoir un jour s’y rendre mais ce rêve lui semble impossible pour de nombreuses raisons: la guerre frappe la France et Magdeleine connaît les privations d’une famille appauvrie; il n’est donc pas question de se payer le luxe d’un voyage et encore moins dans une terre au delà de la Méditerranée ! De plus, la situation ne fait qu’empirer. A l’âge de 18 ans, Magdeleine apprend qu’elle est atteinte d’une grave maladie menaçant peu à peu de lui voler sa mobilité et donc, avec elle, son rêve de partir à l’étranger. Au-delà de sa situation personnelle, Magdeleine est en charge de sa mère, gravement malade elle aussi. La jeune femme souhaite consacrer sa vie à Dieu mais repousse depuis plusieurs années son entrée au couvent, ne voulant pas laisser sa mère sans soutien. Ce sont donc les difficultés, le deuil, la maladie et les privations de la guerre qui ont été les compagnes de Magdeleine tout au long de son enfance et de son adolescence.
Les médecins se montrent très pessimistes quant à son avenir, tout semble alors se refermer sur elle, et l’espoir de voir un jour le Sahara disparaît comme peau de chagrin. Où alors trouver la tendresse de Dieu dans ce tableau bien noir ? Où trouver la lumière et comment croire que cette jeune femme si vulnérable va voyager dans le monde entier et devenir la fondatrice d’une congrégation religieuse ? Aussi incroyable que cela puisse paraître, c’est au cœur même de son épreuve que Magdeleine fait l’expérience puissante de la tendresse de Dieu. Cette tendresse se manifeste d’une manière inattendue par un renversement de perspective. Un jour, alors qu’elle s’entretient avec son médecin sur l’aggravation de son état de santé, ce dernier lui suggère
un choix qui va changer sa vie. Soit elle reste en France et risque fortement la paralysie, soit il lui faut se rendre dans un endroit «où il ne pleut jamais». Voilà que le Sahara, objet de son plus profond désir, devient pour elle LE remède à toutes ses souffrances physiques ! Pour cette jeune femme qui a porté le deuil d’un père parti bien trop tôt, qui s’est dévouée au chevet de sa mère, s’ouvre un horizon de lumière. Et quelle lumière ! Petite Sr Magdeleine va enfin pouvoir réaliser son rêve de se rendre pour la première fois dans le désert. C’est l’Algérie qu’elle choisit pour commencer son apostolat.
La puissance de la simple « présence »
Peu de temps après l’annonce du médecin, Magdeleine embarque pour l’Algérie, accompagnée de sa mère qu’elle ne souhaite pas quitter. C’est dans ce pays qu’elle va commencer à aider les populations démunies des montagnes d’Algérie, en ouvrant une soupe populaire, soutenue par l’évêque de la région. Au début, elle se donne sans compter et les nécessiteux affluent. Magdeleine prépare la nourriture, la distribue, alimente les corps, nourrit aussi les âmes en accueillant toutes ces personnes. Elle le fait avec cœur, sans arrière pensée, toute dévouée et pleine d’espérance. Seulement voilà, très vite elle commence à ressentir en elle des questionnements, une sorte de vide. Plus elle côtoie de gens, plus elle sent ce vide se creuser en elle, et s’étonne de le ressentir, ne comprenant pas ce qui lui manque. Elle sert Dieu à travers les pauvres, elle vit en Algérie, là où elle a toujours rêvé d’aller. Et pourtant, ce vide persiste. Petite Soeur Magdeleine comprend par la suite que le Seigneur l’invite, par ce sentiment de désert intérieur, à aller plus loin encore dans la compréhension des voies divines. Ce que le Seigneur veut qu’elle atteigne, c’est le détachement nécessaire face à une œuvre de charité, pour arriver à offrir aux gens sa simple présence bienveillante, où peut se déployer toute la puissance de l’Amour de Dieu pour les hommes. La «simple» présence comme la plus authentique et puissante preuve d’amour pour le prochain. Voilà qui renverse une nouvelle fois toutes les perspectives humaines ! Magdeleine se met ainsi malgré elle à l’école du Christ qui la conduit et lui fait comprendre que n’avoir rien à donner, si ce n’est ce qu’on est, est un acte d’amour puissant parce que complètement désintéressé. Plus tard, cette intuition est confirmée par une autre révélation, celle du Christ à Bethléem. Au cours d’un songe, elle comprend que sa mission est de donner le Christ enfant au monde entier pour désarmer l’orgueil et la violence qui en découle. Un nourrisson, vulnérable et dépendant des hommes, est l’Incarnation de la Tendresse de Dieu pour les hommes. Un enfant qui tend les bras à tout être humain et demande, en échange, que les cœurs s’ouvrent à la tendresse.
Le commandement de l’amour devenu « fraternités »
Au début de sa vie apostolique, Petite Soeur Magdeleine sent que son appel consiste à servir Dieu en servant les peuples musulmans. Tout comme Frères Charles, elle ressent un amour très profond pour ses frères d’Islam et veut consacrer toutes ses prières et son énergie pour témoigner de quelle affection Dieu les aime. Toutefois, au fur et à mesure que sa foi s’approfondit, elle comprend que le Seigneur souhaite que sa mission devienne universelle et puisse toucher tous les hommes, de tous les peuples et de toutes origines. Elle peut se servir de cet amour premier pour les peuples musulmans comme d’un brasier ardent, dans lequel elle puise la force de partir jusqu’aux extrémités de la terre pour
rencontrer les peuples les plus éloignés et vivre la fraternité. Du temps de la guerre froide, Petite Sr Magdeleine entame donc un grand voyage au-delà du chemin de fer à bord d’une caravane. Elle se rend en terre communiste pour y apporter la lumière de Dieu. Toutes les petites sœurs qui viennent la rejoindre créent des petites «fraternités» clandestines où se vit au quotidien la vie simple de chaque jour avec les voisins du quartier où elles habitent. Les petites sœurs portent tous ces gens dans leur prière communautaire et offrent un espace de dialogue et d’écoute à toutes les personnes qui s’adressent à elles. Malgré un contexte politique international difficile, Petite Soeur Magdeleine ne manque pas d’audace, poussée par sa foi profonde dans ce message de tendresse que Dieu a gravé dans son cœur.
Les formes cachées du racisme
Petite Sœur Magdeleine a vécu toute sa vie de religieuse au milieu des foules et a pu en voir les limites et les péchés. Elle-même est confrontée à ses propres limites dans la relation et demande toujours à Dieu d’ouvrir son cœur à plus de possibilité d’aimer. Elle sait que l’être humain, forgé par son caractère, son éducation, et toutes sortes de conditionnements a désespérément besoin d’être en relation mais que la confrontation à l’autre est parfois difficile. Dans son bulletin vert – un texte magnifique où elle explique les grandes lignes de son intuition pour vivre en pèlerine parmi les hommes de cette terre – Petite Sœur Magdeleine avertit, celles qui souhaiteraient la suivre, des formes cachées du racisme ancrées dans chaque être humain. Elle précise que chaque être, par son histoire, les épreuves qu’il a vécues, les enseignements qu’il a reçus ou les comportements qu’il a vus faire et qu’il répète parfois inconsciemment, possède dans son cœur des formes de racisme dissimulées; elle encourage vivement ses petites sœurs à les identifier et les combattre.
Bérengère Savelieff, chargée d’éducation à la paix pour Pax Christi France