Alfonso Zardi
La dernière ligne droite : c’est ainsi que l’on a l’habitude de qualifier les jours qui nous séparent du premier tour de l’élection présidentielle, le 10 avril prochain. D’ici là, les candidats seront donc projetés, comme des cyclistes en plein élan, vers l’arrivée que marquent un calicot suspendu au-dessus de leur tête et deux larges bandes blanches peintes au sol. Car la victoire donne des ailes, certes, pour monter au ciel mais demande aussi que l’on garde bien les pieds sur terre. Qui que ce soit, le candidat ou la candidate d’aujourd’hui, devenu(e) le président ou la présidente de demain, devra composer avec une réalité des plus dures. Pour commencer, une situation économique et sociale en pleine transformation, du fait de la sortie de la crise du Covid, de l’inévitable transition écologique et de la suite des sanctions à l’encontre de la Russie ; ensuite, un bouleversement des paradigmes socioculturels de la nation dû à l’extension du phénomène migratoire, y compris l’arrivée de dizaines de milliers de migrants ukrainiens; et pour finir une réorientation décisive de la construction européenne dans laquelle les considérations géostratégiques, et donc forcément militaires, prendront une part prépondérante.
Autant dire que d’ici cinq ans, virtuellement, aucun des paramètres sur lesquels semblent se jouer actuellement la campagne électorale et les élections proprement dites ne sera plus le même. Et le débat, quand il a lieu, porte sur quantité de questions plus ou moins pointues, réputées apporter des réponses aux attentes de telle ou telle catégorie de citoyens plutôt que de dessiner quelle serait la société de demain. Mais pourrait-il en être autrement ? Dans la fébrilité qui semble s’être emparée tant des candidats que des électeurs, sonnés par la succession des crises (de l’apparition des gilets jaunes aux rond-points de la France profonde à l’épidémie de Covid qui nous a terrassés durant deux ans, jusqu’à la guerre d’Ukraine qui nous plonge presque dans une « économie de guerre »). Le prix de l’essence à la pompe, l’abaissement ou relèvement de l’âge de la retraite, la taxation des profits exceptionnels des industries pétrolières ou pharmaceutiques, la réforme des EHPAD ou l’augmentation du SMIC « parlent » davantage que les vagues concepts de « défense européenne », de « green deal » ou d’« autonomie stratégique ». Pourtant c’est bien de cela aussi dont on aura à s’occuper le premier (ou la première) qui franchira la ligne d’arrivée et ceux qui arriveront juste après car, s’ils ne décrochent pas le maillot (tricolore ?) de président, ils auront de toute façon, en tant que responsables politiques – ou politiques « responsables » – à contribuer à la prise de décisions cruciales pour la France en Europe et dans le monde.
La France de 2030 voire déjà celle de 2027 sera de toute façon différente : plus aride et en souffrance hydrologique, plus diverse ethniquement, culturellement et religieusement, plus âgée démographiquement, plus engagée dans des théâtres de conflit voire de guerre qui pourraient demander que le sang de ses enfants soit versé. Au moment de glisser – comme on dit poétiquement – notre bulletin dans l’urne, souvenons-nous de ce que nous nous serons donné la peine de décrypter dans les « professions de foi » que nous recevons ces jours-ci dans nos boîtes aux lettres (c’est bien la seule fois que l’on demande aux candidats de nous dire s’ils ont la foi !).
Cherchons-y les mots paix, solidarité, équité, unité, et votons en conscience.