Le va-et-vient de la conscience

Durant quelques jours interminables, vers le milieu du mois de novembre, l’Europe a assisté impuissante à un dramatique bras de fer entre deux pays, la Pologne et le Bélarus, qui, en l’espace de quelques heures se sont livrés à une confrontation implacable sous les yeux de tous.

D’un côté, la ruse d’un dictateur qui prétend exercer un véritable chantage sur son voisin et l’Europe entière en exploitant la misère et la faiblesse de centaines d’hommes, femmes et enfants transportés, dépouillés puis abandonnés dans une « no man’s land » qui n’a jamais aussi bien porté son nom.

De l’autre, l’inflexibilité d’un gouvernement qui, sûr de gagner ainsi la sympathie de ceux, nombreux, qui prônent la fermété sans nécessairement l’appliquer, déploie des kilomètres de barbelés, refuse l’accès aux soins même les plus élémentaires et décide, puisque cela ne suffit pas, de construire un mur vraiment infranchissable.

Après quelques jours, les migrants ont disparu des écrans de télévision, l’invraisemblable « pont aérien » vers Minsk a cessé, des lieux d’accueil côté bélarus ont été trouvés. Qu’adviendra-t-il de ces centaines de personnes nul ne sait, mais au moins ont-ils quitté la « une » des journaux, chassés par une autre urgence, plus dramatique encore si possible, plus meutrière et plus proche à la fois.

Alors redisons avec force que dans ce « jeu » indigne les torts ne sont pas partagés car on a le droit d’être exigents avec la Pologne qui affirme partager les mêmes valeurs européennes : n’est-elle pas membre du Conseil de l’Europe, partie à la Convention européenne des droits de l’homme, membre de l’Union européenne dont elle accepte l’article 3 ? L’agression dont elle est victime ne justifie en rien le mépris, dont elle a abondamment fait la démonstration, de la dignité humaine, la violation du droit international humanitaire et le refus, contraire aux conventions des Nations Unies, d’examiner de bonne foi les demandes d’asile que les migrants pourraient lui soumettre s’ils n’en étaient pas si brutalement empêchés.

Dans ce jeu indigne, le traitement infligé à tous ces migrants – sous prétexte qu’ils ne sont en fait que des pions manipulés par un pas-si-habile joueur d’échecs dont on finira par obtenir l’abandon, ce qui s’est en effet produit – demeure « inhumain et dégradant » à la barbe des Etats qui s’en émeuvent mais se gardent bien d’actionner les leviers que leur offrent les conventions internationales qu’ils ont pourtant signées.

Dans ce jeu indigne, on prétend respecter le droit ou en réclamer le respect – les critères de Dublin sur le pays de premier accueil, les procédures d’examen de la demande d’octroi du statut de réfugié – tout en mesurant l’écart énorme et qui se creuse chaque jour un peu plus, entre la réalité d’une humanité errante et l’illusion de régler le sort de celle-ci par l’application de « normes en vigueur » totalement dépassées.

Oui, il faut un nouveau droit international des migrants qui mette en œuvre le droit de tout être humain de quitter son pays, notamment si celui-ci ne peut plus l’accueillir dignement (article 13 de la déclaration universelle), et le devoir de tout pays de ne pas se livrer à des actes de « destruction » de ce droit (article 30) comme nous le constatons désormais chaque jour.

Et il faut que cesse enfin ce jeu de va-et-vient qui allume les consciences sur le dernier des drâmes en l’éteignant sur le précédent. L’Avent nous invite à allumer une bougie par dimanche sans éteindre les autres. Gardons les yeux ouverts, les feux allumés, la conscience en émoi sur nos « frères humains » !

Alfonso Zardi, délégué général Pax Christi France