Le silence de Kaboul

Un étrange silence règne aujourd’hui sur Kaboul : du bruit assourdissant des C130 surchargés qui décollaient en rapide succession on est passé aux rares vrombissements d’avions commerciaux presque vides, le vacarme des rues s’est tu depuis que la circulation automobile a chuté, que les passants se font rares et silencieux, que les femmes sont redevenues muettes. Les salles de classe, vidées de la moitié de leurs écoliers et élèves, ne résonnent plus que de pas feutrés, ou de réponses acclamées par obéissance, sous les ordres des nouveaux maîtres.

Le silence d’un peuple mis en coupe réglée nous interpelle tous : qu’avons-nous fait de l’Afghanistan, une fois libéré de Daech par la puissance de nos armées ? La vitrine de la société de consommation à l’Occidentale, l’exemple de la démocratisation réussie d’une société tribale, un havre de paix au cœur d’une région en guerre depuis des décennies ?

Rien de tout cela : en dépit des milliers de milliards dépensés, et des vies consumées des civils, des militaires, des volontaires qui se sont succédés pour former – à la guerre surtout mais aussi à la paix, à la tolérance, à la solidarité – les ethnies et les classes émergeantes du pays, l’Afghanistan ressemble aujourd’hui à un immense champ de ruines que se disputent les voisins : la Chine, le Pakistan, l’Iran et la Russie, principalement.

Et pourtant, vraiment aucune des graines semées de façon si désordonnée ne garde-t-elle une chance de porter du fruit – nuitamment, derrière des volets fermés, sous le voile des unes et les tenues militarisées des autres ?

Pourquoi ne ferions-nous pas confiance, pas tellement aux nouveaux gouvernants mais aux anciens  gouvernés dont ils ont désormais la responsabilité ? La reconnaissance internationale dont les « talébans » ont tellement besoin ne peut-elle leur être accordée désormais par les Occidentaux et principalement l’Europe, non pas au nom de la « realpolitik » mais au nom de l’humanité commune qui nous rassemble ? Une reconnaissance qui valide l’existence d’un peuple que le vent de la démocratie et des droits humains n’a fait qu’effleurer mais qui a goûté au parfum de la liberté et qui saura le reconnaître même au milieu des odeurs âcres de la guerre.

On a tout à perdre, nous, les Occidentaux et la terre entière, d’un nouvel ostracisme politique et économique, d’une mise au ban de l’Afghanistan taléban de la « famille » (osons le mot) des nations. Que nos valeurs, aussi malmenées qu’elles aient pu l’être au cours des dernières années voire semaines dans ce grumeau rocheux au cœur de l’Asie, soient le phare d’une politique étrangère bienveillante et intelligente qui fasse pièce à la logique de soumission et d’accaparement que prônent les dictatures qui encerclent l’Afghanistan.

Tout reste à construire, ici, mais des graines ont été semées là-bas. Ne laissons pas les opportunismes, l’intolérance et la haine voler le sourire et l’avenir aux enfants que nous avons vu accourir dans nos écoles, libres.

Alfonso Zardi, Délégué général de Pax Christi