Nature ou Création ?

Dans son encyclique écologique Laudato si (LS 76) le pape François écrit « La nature s’entend d’habitude comme un système qui s’analyse, se comprend et se gère, mais la Création peut seulement être comprise comme un don qui surgit de la main ouverte du Père ». Une distinction importante qui mérite que l’on s’y arrête alors que la crise écologique, qui nous interpelle, demande d’utiliser l’une et l’autre de ces deux notions.

Nous ne pouvons en effet confondre ce que dans la foi nous appelons Création et ce que le scientifique appelle la nature, ici considérée comme ce que nous percevons du monde physique et dont nous faisons partie. L’univers lui-même n’est absolument pas en péril. Avec ses milliards de galaxies,  il poursuit son expansion dans cet espace-temps dont nous n’avons pas fini de percer les mystères, sans être le moins du monde affecté par la crise écologique que subit notre petite planète. Ce qui est en cause c’est ce qui se passe, à notre échelle de temps et d’espace, dans ce minuscule endroit de l’univers où la vie est apparue, la Terre.

Ce qui est en danger c’est notre propre survie et celle de nombreuses autres espèces vivantes face aux changements trop rapides qu’ont provoqué les activités humaines des deux derniers siècles. Et ce devrait être le devoir de tous les Hommes, sans même avoir pour les chrétiens à en appeler à « la sauvegarde de la Création », que de mettre en œuvre les actions qui permettraient d’éviter la catastrophe.

Quand nous confondons la nature et la Création nous attribuons souvent à la nature des vertus qu’elle ne possède pas.  Selon une vision très largement partagée, la nature serait bonne, idée confortée chez les chrétiens quand ils assimilent (in)justement nature et Création divine (Dieu vit que cela était bon, Gen 1.31).

Or la nature n’est ni bonne ni mauvaise, les organismes vivants s’entredévorent au moins autant qu’ils s’entraident, et les termes eux-mêmes que nous utilisons pour définir ces relations écosystémiques sont des projections anthropomorphiques.

Les virus et les bactéries responsables de la peste et du choléra sont tout aussi naturels que les fleurs des champs et les mignons koalas! En attribuant à la nature une forme de volonté, un dessein qu’elle ne possède pas, nous devenons animistes. En confondant la nature et la Création nous risquons non seulement de retomber dans le piège du concordisme mais de rendre aux yeux du monde le Créateur responsable de tous nos maux.

Il ne s’agit pas ici d’engager un débat théologique alors que d’excellents spécialistes tels que François Euvé[1] ou Fabien Révol[2] revisitent aujourd’hui les concepts de nature et de Création mais il suffit peut être de s’en tenir à ce que nous dit le pape : recevoir notre existence comme un don.

Se savoir voulus, souhaités, aimés, c’est la « bonne nouvelle » du Notre Père quand le Christ nous apprend à prier. Le reconnaitre c’est alors proclamer dans la foi que nous sommes créés. Mais cessons d’avoir une vision irénique de la Création, car c’est à cette liberté même que donne le Père lorsqu’il laisse ses enfants choisir leur propre chemin que nous devons d’avoir à affronter les épreuves de la vie.  La nature devient alors l’espace de la Création, une maison pour tous, un espace que nous habitons, et qui nous est confié en responsabilité, à nous qui, parmi les vivants, avons pris conscience du don qui nous était fait. Il est tentant ici de faire allusion à la parabole de l’enfant prodigue.

Ne sommes-nous pas aussi ceux qui avons inconsidérément dilapidé l’héritage ? Nous portons une lourde responsabilité vis-à-vis de tous les vivants nos frères, et vis-à-vis de nos propres enfants, les Hommes. Les plus âgés d’entre nous n’en avaient pas nécessairement conscience mais nous le savons désormais, nous avons provoqué, nous les pays riches, par les excès de nos modes de vie, les bouleversements que nous connaissons aujourd’hui. Pour le renouvellement de l’Oikos de Dieu, les chemins de conversion ne sont difficiles que si nous les percevons comme une contrainte. Mais ils peuvent devenir dans nos choix de vie, vers plus de sobriété et de partage, une libération évangélique.

Jean-Noël Hallet – Biologiste retraité des Universités

Paroles de chrétiens sur l’écologie-Commission Ecologie Intégrale


[1] François Euvé, Théologie de l’écologie, Une Création à partager, 2021,Salvator

[2] Fabien Revol, Le temps de la Création,2015, Cerf