Dans le quotidien régional que je lis tous les matins, une place de choix est faite au maire d’une ville de mon agglomération urbaine qui s’est engagé dans une « tournée des barbecues » pour aller à la rencontre de ses administrés. Après des mois et des mois de confinement, privés que nous avons été de rencontres et d’embrassades, quoi de mieux que de se retrouver sous la tonnelle et de mordre ensemble, dans la bonne humeur, à un hot dog bien assaisonné (par le maire en question) ?
Pas une ligne par contre, dans le même journal, sur l’autre nouvelle du jour, à savoir l’alarmant rapport de l’ONG Oxfam qui, relayant les informations de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (généralement connue sous le sigle de FAO) s’inquiète du retour de la famine dans le monde. Alors que la tendance, jusqu’en 2016, était eu renforcement de l’autosuffisance alimentaire dans le monde, la tendance est maintenant inversée : 155 millions de personnes vivent aujourd’hui dans la précarité alimentaire (20 millions de plus qu’en 2020), c’est-à-dire qu’elles ne sont pas sûres d’avoir de quoi manger demain.
Quel lien entre la nouvelle des joyeux barbecues d’un côté et le silence sur l’alarme d’Oxfam de l’autre ? Aucun, si ce n’est qu’est ainsi illustré le paradoxe d’une planète où face à ceux qui ont de quoi se nourrir copieusement, d’en faire une occasion de rencontre voire même de participation civile et politique, il existe des plages grandissantes de populations qui sombrent à nouveau dans la faim et la misère. Insoutenable paradoxe qui a certes de multiples causes : des changements climatiques qui assèchent les terres et les cours d’eau aux politiques nationales qui viennent au secours des affamés mais ne touchent pas aux racines profondes des inégalités de la production agricole ou des accaparements des réserves en céréales (la Chine est de nouveau championne en la matière), des conflits armés qui empêchent (en Afrique, Amérique centrale, Moyen Orient) les populations sédentaires de cultiver ou moissonner lorsqu’il faut, jusqu’à la diffusion de la COVID-19 qui a fragilisé des économies (presque) florissantes (le Brésil) par ses centaines de milliers de victimes et les millions d’hommes et de femmes privés de soins et de revenus – donc des moyens de subvenir à leurs besoins.
Nous en avons été les témoins même en France et dans de nombreux pays européens, où des magasins ont été pris d’assaut, les queues se sont formées devant les associations d’aide aux démunis ou les restaurants universitaires, les paniers à provisions étaient proposés dans les rues de Naples (et aussitôt vidés ils étaient à nouveau remplis) …
Selon Oxfam, les causes de la faim d’aujourd’hui se cachent (vraiment ?) derrière les trois C de « climat », « conflits » et « COVID ». A ces causes, la réponse des Etats est pour le moins distraite, pour ne pas dire aberrante : on finira par trouver de quoi expédier des sacs de riz ou de lait en poudre aux nécessiteux – et se donner ainsi bonne conscience, mais on se gardera de couper dans les dépenses militaires (par exemple) qui progressent tragiquement (+51 milliards de dollars en un an). On se gardera aussi de toucher aux pouvoirs exorbitants des multinationales de l’agroalimentaire qui détiennent des brevets pour des semences (par exemple) « stériles », c’est-à-dire qu’il faut renouveler tous les ans, mettant des millions et des millions de petits et moyens producteurs dans l’impossibilité d’acquérir un minimum d’autonomie productive et économique.
A l’heure où la COVID-19 appelle à une gouvernance mondiale de la santé (avec une OMS renforcée dans ses moyens d’action et l’accès libre aux vaccins, par exemple), le moment ne serait-il pas venu de créer une alliance mondiale contre la faim qui ferait de son éradication le paradigme de cette humanité nouvelle, fraternelle et solidaire, censée émerger de la pandémie ? A l’heure des barbecues de nos vacances, il est permis de rêver. Le réveil risque d’être rude à l’automne.
Alfonso Zardi, Délégué général