Les armes chimiques Une longue histoire de peur, d’interdiction…et d’utilisation
Le 7 avril dernier, 40 personnes auraient péri et 500 autres auraient souffert de problèmes respiratoires dans une attaque aux gaz toxiques attribuées à Bachar el Assad à Douma une ville située à une vingtaine de kilomètres à l’Est de Damas. Dans la nuit du 13 avril une intervention des Etats Unis de la France et de la Grande Bretagne lançait une centaine de missiles pour détruire un Centre de recherches et deux sites de stockage. Un communiqué du Pentagone précisait que le cœur du programme d’armes chimiques syrien avait été atteint et qu’on ne déplorait aucune victime.
Une intervention symbolique sans objectif politique, commentait le journal La Croix du 16 avril, dont le seul but était de sanctionner le franchissement par le dictateur syrien d’une ligne rouge concernant les armes chimiques.
La Russie ayant opposé son veto, l’opération s’est déroulée sans l’accord du Conseil de Sécurité de l’ONU, mais était couverte par la Convention sur l’interdiction des armes chimiques ayant force exécutoire au regard du Droit International depuis le 29 avril 1997.
L’histoire des armes chimiques ne commence pas avec Bachar El Assad et leur interdiction est une longue histoire qui ne commence pas en 97.
A l’instar des autres armes de destruction massive, la communauté internationale a longtemps cherché à se prémunir contre l’utilisation militaire des produits chimiques. Le premier accord international remonte à 1675 et fut signé à Strasbourg par l’Allemagne et la France. Ce traité visait à interdire l’utilisation de balles empoisonnées.
Deux siècles plus tard, en 1874 , dans le cadre d’un traité concernant les lois et coutumes de la guerre, la Convention de Bruxelles interdit l’emploi de poison ou d’armes empoisonnées et l’emploi d’armes ou de matériel causant des souffrances inutiles. Cet accord fut complété en 1899 par un accord interdisant l’emploi de projectiles chargés de gaz toxique, accord signé lors d’une conférence internationale de la paix à La Haye.
Malgré ces accords, la première guerre mondiale fut le théâtre des premières utilisations massives d’agents chimiques sur les champs de bataille. Une prise de conscience mondiale du risque que faisaient courir ces armes, tant pour les militaires que pour les populations civiles, a conduit la communauté internationale à redoubler d’efforts pour interdire l’emploi des armes chimiques. L’aboutissement de ces réflexions fut la signature du Protocole de Genève de 1925 concernant la prohibition d’emploi de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques .
L’évolution des mentalités et l’apparition de nouvelles armes de destruction massive aboutit, en 1971, à la négociation par le Comité des dix-huit puissances sur le désarmement (devenu depuis la Conférence du désarmement) du texte de la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines, communément appelée la Convention sur l’interdiction des armes biologiques.
Cette Convention, qui inclut pour la première fois un régime de vérification, a été ouverte à la signature à Paris le 13 janvier 1993. Elle fut par la suite déposée auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, à New York.Et ce n’est qu’en avril 1997 que la signature de 87 Etats lui donnait force exécutoire.
On voit que le chemin est long du protocole de 1925 à l’interdiction de 97 et en un siècle bien des Etats ont profité du flou de la législation et de la difficulté à la faire respecter pour utiliser sans scrupules ni sanctions l’arme chimique pourtant reconnue particulièrement immorale.
Entre 1961 et 1971, l’armée américaine a utilisé des herbicides et défoliants chimiques comme armes militaires: toute une partie du couvert végétal du Vietnam méridional a été inlassablement arrosée de millions de litres d’agents toxiques. L’objectif était de priver la résistance vietnamienne de la protection du couvert végétal et de faciliter les frappes aériennes au sol. Ces missions n’hésitèrent pas à « déborder » au nord du 17e parallèle (frontière établie entre le Nord et le Sud Viêt-Nam lors des accords de Genève, en 1954) pour détruire les convois de ravitaillement.
Entre 1962 et 1965, 2 millions de litres d’agent pourpre sont déversés. 3181 villages ont été directement arrosés, ce qui a entraîné la contamination – si l’on tient compte de la dispersion éolienne – de 2, à 4 millions de personnes. Près de 40 ans plus tard, des mesures réalisées au sein de la population vietnamienne ont décelé chez certains sujets des taux de dioxine deux cents fois supérieurs à la limite acceptable.
L’histoire dit aussi qu’un autre agent chimique, le phosphore blanc, a été utilisé par le régime syrien à Alep, par l’Arabie saoudite au Yémen, par l’armée américaine en Irak lors de la reprise de Fallouja en 2004, par Israël à Gaza en 2009, et par la Russie en Tchétchénie, en 1994″.
On le voit, les attaques en Syrie s’inscrivent, hélas, dans une longue suite de cruautés commises par lui et par tant d’autres mais restées impunies malgré une ampleur qui dépasse largement les 40 malheureuses victimes de Douma. La brusque sévérité de la coalition américano-franco-britannique peut donc paraître paradoxale si l’on pense aux autres victimes du conflit : 460.000 selon l’observatoire syrien de Droits de l’homme. Mourir sous les bombes incendiaires ou à sous-munitions autorisées serait-il moins atroce que mourir asphyxié par le chlore interdit ? Il est vrai que l’arme chimique, non seulement tue des hommes, mais viole un principe international. Mais il est bon de rappeler aussi que le service de la paix en Syrie ou ailleurs, ne peut emprunter d’autres chemins que ceux d’une négociation juste, équilibrée et respectueuse des intérêts des populations et que l’utilisation de la force, sous quelque forme que ce soit, n’apporte en aucune manière, une réponse à l’espoir de paix qui habite les hommes et les femmes.
Alors, que vite, très vite l’humanité établisse d’autres règles qui interdisent les autres armes, toutes les autres armes en commençant par les plus terribles. Dans un écosystème menacé, les hommes devraient avoir d’autres priorités que de s’entre-tuer quels qu’en soient les moyens.