Le dégel

Au début de l’année 1954, à quelques mois de la mort de Staline, un écrivain inconnu en Occident, Ilya Ehrenbourg, publie en Russie un roman intitulé « Le dégel » dont le titre deviendra bientôt célèbre dans le monde entier. Il servira à décrire la normalisation progressive des relations Est-Ouest dans ce qui est encore la « guerre froide » et surtout la desserrement (lui aussi très progressif) de l’étau qui suffoque la société soviétique, où un léger vent de liberté commence à souffler.

Pourquoi évoquer le dégel à ce moment de l’année où l’on craindrait plutôt la surchauffe du climat ? Parce que la poignée de main échangée le 16 juin à Genève entre les présidents Biden et Poutine – suivie de trois heures et demie de conversation – marque la reprise de la circulation de la sève nourricière dans le tronc presque givré des relations russo-américaines.

Après des années où le dialogue était rompu (au point que les ambassadeurs respectifs étaient rappelés pour « consultations », comme on dit pudiquement en langage diplomatique) et les insultes avaient remplacé les échanges, les deux Grands se regardent dans les yeux et se parlent à nouveau. Il y a de quoi : si les Etats-Unis, de fait tout l’Occident (comme on disait autrefois, mais c’est ainsi que nous voit la Russie) se sentent violés (cyberattaques, influence sur les élections nationales), agressés (guerres en Géorgie, Nagorno-Karabach, Ukraine orientale et annexion de la Crimée), encerclés (guerre en Syrie, basculement de la Turquie), la Russie estime avoir été reléguée injustement sur un strapontin lors du dialogue stratégique mondial et fait tout ce qu’elle peut pour se rappeler à l’attention des uns et des autres, Europe y comprise.

Se parler donc pour reconnaître enjeux et intérêts communs : le plus important, la poursuite du désarmement nucléaire et le démantèlement des arsenaux atomiques des uns et des autres (et surtout de celui, décrépit et partant dangereux, des Russes), le plus urgent, l’arrêt des cyberattaques qui paralysent les infrastructures vitales et sapent les fondements des démocraties occidentales, le plus fâcheux, les droits de l’homme et le sort des dissidents en Russie, qui reviennent comme à l’époque d’ Ehrenbourg.

Cela peut ne pas paraître très important mais c’est le début d’un nouveau printemps, après un long hiver d’affrontements et de mésentente. Pour l’Amérique, reprendre le dialogue avec la Russie, lui redonner toute l’importance qu’elle y recherche (à défaut de la « mériter » par ses agissements), revient à une indispensable « neutralisation » de son adversaire de l’est face à la confrontation stratégique qui ne fait que commencer, à l’ouest, avec la Chine. Pour la Russie, qui se garde de promettre une conduite dorénavant irréprochable, être crainte à défaut d’être respectable, est un bon argument pour revenir à la table du dialogue.

Et l’Europe ? Il faut maintenant travailler pour que celle-ci, tout autant menacée et fragilisée par la Russie que les Etats-Unis, ait aussi sa place, et pas sur un fauteuil vite rapporté, dans la discussion qui reprend, car la Russie « est » autant en Europe qu’en Asie. Si l’Amérique se soucie de « son » Occident, à l’Europe de provoquer à son tour le « dégel » d’avec son voisin, partenaire, « frère » d’Orient.

 

Alfonso Zardi, Délégué général